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06 Oct

Arts, nature et anatomie

Publié par francois delcourt  - Catégories :  #Biomécanique, #recherche et développement

Arts, nature et anatomie

L’être humain a toujours voulu se représenter au sein de son environnement. Cette propension à visualiser l’organisation du vivant a été fortement associée aux conceptions religieuses, notamment dans les cultures monothéistes. Au cours de l’histoire des hommes cette représentation a évolué, passant d’une structure pyramidale à arborescente puis récemment sous forme de réseaux. Cette dernière semble répondre plus justement à la réalité de nombreuses types d’organisations, réelles, organiques ou virtuelles voire artistiques. Les formes sont diverses, parfois respectant la notion d’invariance d’échelle tout en ayant des particularités, des propriétés et des fonctions différentes. Les créations de la nature et les créations humaines laissent pour l’observateur un sentiment étrange devant tant de beauté. La grâce et l’harmonie, la légèreté des formes, des lignes et des courbes, la disposition et les proportions des éléments, le mouvement, évoquent cette qualité d’élégance que l’on retrouve dans les écrits de scientifiques comme Alain Berthoz ou Karl Sagan ou chez des auteurs classiques.

Comme pouvait l’écrire Flaubert : « Un gilet de toile, dont la coupe élégante rachète la vulgarité de l'étoffe » (Flaubert G. 1881).

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres s’exclamait Stéphane Mallarmé (Mallarmé S. 1865.)

Notre anatomie serait-elle triste, voire vulgaire comme une simple étoffe ? nous allons voir qu’il suffit parfois de sortir des livres justement et de la regarder différemment. 

 

La pyramide plane

Dès l’antiquité, dans l’ontologie d’Aristote, « science de l’être en tant qu’être » favorise l’océan dominant des pensées hiérarchisées.

la représentation pyramidale (scala naturae), que l’on traduit par « l’échelle des êtres », était la norme, hiérarchique, avec au sommet Dieu et les anges puis les hommes (les nobles et les puissants), les « petites gens » ordinaires et les animaux vivants mais sans âme venant en dernier. 

Représentations de la scala naturae.

Représentations de la scala naturae.

Les arborescences

De la représentation pyramidale, nous sommes passés à une représentation arborescente, la métaphore semble liée à la puissance, au caractère sacré, à la longévité, à la fertilité et à la croissance, à la robustesse de l’arbre. Racines ancrées dans le sol et branches orientées vers le ciel, l’arbre symbolise la connexion entre la terre et les cieux. Depuis toujours, les forêts sont des lieux de magie, de puissances occultes et obscures imaginaires. Du chêne au lotus, au figuier sacré chez les bouddhistes en passant par l’olivier, toutes les cultures ont un arbre totem. 

Pin Bristlecone (certains ont 4700 ans)

Pin Bristlecone (certains ont 4700 ans)

Le tronc central d’ou naissent des branches hiérarchiques est une métaphore puissante de nos civilisations pour comprendre notre manière de catégoriser et hiérarchiser les choses. Ainsi les notions « d’arbre de vie » (James 1966) ou « arbre monde », ou encore « arbre de la connaissance » du jardin d’Eden, sont issues de nombreuses cultures ancestrales.

 

L’arbre de la connaissance ou « l’arbre porphyrien » né de l’ingéniosité du philosophe Porphyre de Tyr au IIIe siècle présente la logique d’Aristote et la classification en genre et espèces de l’homme et des animaux.

 

L’arbre des séphiroths, de la mystique kabbalistique (XIIe siècle) nous donne une représentation de l’arbre de vie (même si les racines sont inversées). Il représente la structure de l’homme au sein de l’univers, il symbolise les forces et les connaissances pures en interaction dans le manifesté de l’humain.

 

"Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie" [Genèse 3,24]

Arbre porphyrien et arbre des Séphiroths.

Arbre porphyrien et arbre des Séphiroths.

Cette représentation arborescente s’est étendue à bien d’autres objets de connaissances, de la généalogie aux classements les plus divers. La visualisation unifiée, hiérarchique parfois autoritaire, classée, ordonnée, répertoriée et symétrique a toujours été très usuelle chez les scientifiques et les religieux de l’antiquité à nos jours. 

Ernst Haeckel (1834-1919). Arbre de Vie de Generelle Morphologie der organismen (1866) avec trois royaumes Plantae, Protista et Animalia.  « Pedigree of Man », publié en 1879 dans The evolution of Man.

Ernst Haeckel (1834-1919). Arbre de Vie de Generelle Morphologie der organismen (1866) avec trois royaumes Plantae, Protista et Animalia. « Pedigree of Man », publié en 1879 dans The evolution of Man.

Arbre des vertus et des vices. Arbre de consanguinité.

Arbre des vertus et des vices. Arbre de consanguinité.

Blasons et armoiries de la maison de France. Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. 1765.

Blasons et armoiries de la maison de France. Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. 1765.

Mais aujourd’hui, est-ce bien une représentation adaptée à la réalité perçue ? la volonté de maitrise par l’homme des objets du monde et de leur organisation a toujours privilégié les formes géométriques, même si elles peuvent être arborescentes mais toujours planes. Alors que l’homme possède une vison binoculaire permettant la vision des reliefs, quid des représentations 3D ? C’est bien heureusement ce que l’on retrouve dans l’architecture et la sculpture. 

 

Concepts architecturaux

L’humain, depuis la géométrie Euclidienne, aime les lignes droites, les triangles, les angles bien droits et les cercles parfaits. La plupart des constructions architecturales humaines sont faites de verticales et horizontales. L’équerre et le compas ne sont-ils pas les outils des bâtisseurs de cathédrales à l’origine de la franc-maçonnerie ? La question est de connaître la raison de telles représentations et constructions que l’on ne retrouve pas dans la nature. Regardez la fenêtre et au travers d’elle, et vous verrez le montant bien carré contrairement aux courbes et lignes imparfaites des arbres ou des rochers vus au travers de celle-ci. 

Arts, nature et anatomie

De même, une termitière est une structure très élaborée, climatisée (voir article), auto organisée construite, sans plans ni architecte, depuis des millions d’années. Qu’est-ce qui fait que l’homme semble obnubilé par les verticales et les horizontales parfaites ? D’après Alain Berthoz (Berthoz 1997), la réponse semble être liée à sa construction même ; en effet l’homme possède un repère orthonormé, Euclidien par excellence, grâce au système vestibulaire de son oreille interne. Les canaux semi-circulaires de celle-ci, en relation avec les yeux, sont dans une orientation particulière nous permettant physiologiquement de privilégier les horizontales et les verticales dans nos perceptions. Ces perceptions semblent avoir eu un impact important notamment en architecture. 

 

Architecture antique vs moderne

Depuis des temps immémoriaux, les hommes ont construit des édifices en vue de se protéger de l’hostilité de la nature elle même, à des fins guerrières, ou en hommage à des dieux, des rois. Du tumulus en terre à la pyramide en pierre, jusqu’à la structure en voute creuse des cathédrales, ce faisant ils ont utilisé des matériaux à l’état brut qu’ils ont trouvé dans la nature : Pierre, bois, terre, etc. puis ils ont appris à combiner les matériaux, à rendre les constructions plus légères, moins massives.

Comme pour les représentations pyramidales et les arborescences porphyriennes, l’architecture s’est modifiée.

Le poids propre des structures est devenu inférieur aux charges qu’elles sont capables de supporter, voire même aux actions que peut engendrer le vent sur une structure. (Sarger. R. 1967)

C’est ce qu’on appelle la révolution structurale. Depuis le début du 20e siècle, les savoirs et la recherche ont changé de codes, à la recherche de structures et de schémas symboliques différents. Mythes déchiffrés par Lévi-Strauss, inconscient exploré par Freud, enrichissement de la dialectique par Althusser, architecture par Buckminster Fuller, le structuralisme a été une révolution et une libération théorique face à une idéologie de pensée (et de faire) ancienne. (Benoist J.M. 1980)

Arts, nature et anatomie

La tenségrité

Au 19e siècle, les premières charpentes métalliques furent crées, l’architecture évoluait vers des systèmes de treillis, de réseaux de barres métalliques enchevêtrées. La tour Eiffel en est un bon exemple, les systèmes réticulés (du latin reticulus : filet à petites mailles) firent leur apparition en architecture, néanmoins, à cette époque s’est posé le problème de la mise en tension de ces réseaux de câbles nécessitant des points d’ancrage. Une structure trop rigide est fragile, c’est la raison pour laquelle les piliers de la tour Eiffel reposent sur les alluvions de la seine et reste déformable à sa base et dans son ensemble.

L’idée est venue de créer des systèmes composés de treillis, que l’on appelle réticulés ne nécessitant aucun point d’ancrage ; on parle alors d’autocontrainte. La notion d’auto contrainte représente la rigidité du système et l’état d’auto équilibre indépendamment de toute action extérieure.

Cette idée a fait l’objet de brevets de la part de Hemmerich et de Buckminster Fuller ainsi que de Snelson entre 1959 et 1965. Ils ont ainsi crée des structures de tenségrité.

Nous sommes passés ainsi à des systèmes supportant des contraintes dans les trois dimensions de l’espace ne devant pas leur stabilité uniquement à leur poids.

 

« Un système de tenségrité est un système dans un état d’auto équilibre stable, comportant un ensemble discontinu de composants comprimés à l’intérieur d’un continuum de composants tendus. » (Motro René 2005)

 

« Des îlots de compression au sein d’un océan de tension » disait Richard Buckminster Fuller. Pour lui, « Tenségrity » se veut être la contraction des deux mots « tensional » et « integrity » afin de représenter la notion de tension intégrale.

 

Dans cette définition, la forme des composants  ainsi que le matériau n’est pas prédéfini ce qui permet de l’associer à n’importe quel type de structure, câble, membrane, volume d’air ou un ensemble de composants associés, appelé matériau composite

Toute structure gonflable, tel un ballon, représente des systèmes qui peuvent satisfaire à ce principe. L’air contenu dans le ballon est en état de compression (un îlot de compression puisque isolé de l’extérieur) au sein d’une membrane déformable en état de tension (c’est l’océan de tension).

Dans le cadre d’un système réticulé autocontraint, les éléments constitutifs ne sont soumis qu’à des sollicitations de traction ou de compression, pas les deux. Imaginez les tentes de camping anciennes pour lesquelles vous deviez installer les piquets, puis la toile et fixer le tout au sol à l’aide de sardines. Aujourd’hui, tous les fabricants et vendeurs de tentes vous proposent des structures de tenségrité qui s’ouvrent et se plient instantanément en quelques secondes pour un gain de poids et de temps bien meilleur. 

Le module à trois ou quatre barres, “simplex” ou « equilibrium”, système de tenségrité le plus élémentaire

Le module à trois ou quatre barres, “simplex” ou « equilibrium”, système de tenségrité le plus élémentaire

Structure géodésique. USA

Structure géodésique. USA

Needle Tower. Snelson.

Needle Tower. Snelson.

Needle Tower. Snelson.

Needle Tower. Snelson.

Propriétés

  • Légèreté, résilience
    • Les structures de tenségrité sont très légères en regard de leurs performances mécaniques (rigidité, etc).
    • Les grilles permettent de réduire le poids de moitié par rapport à des structures équivalentes en termes de résistance mécanique
  • Energie interne
    • La géométrie des modules de tenségrité traduit une dépense d’énergie minimale
  • Pliage et autocontrôle
    • La structure peut ainsi être déformée et pliée tout en maintenant une autocontrainte dans certains plans.
  • Non-linéarité

 

Analogie au corps

Si l’on peut faire un parallèle avec le corps humain, l’ensemble des tissus conjonctifs le constituant représente un système réticulé spatial. On parle de biotenségrité (Stephen Levin biotensegrity)

La plupart des tissus conjonctifs sont constituées d’un treillis de fibres de type collagéniques ou autre associées entre elles dont la composition et la proportion de ces types de fibres confère aux tissus sa rigidité.

La plupart de ces tissus conjonctifs qu’ils soient musculaires, tendineux, ligamentaires supportent bien mieux les contraintes en traction.

Par contre les os, grâce à leur constitution en partie minérale, supportent bien mieux les contraintes de compression.

Le corps est un système réticulé en état d’auto équilibre dont la structure et l’enveloppe sont indépendantes des contraintes extérieures.

L’homme se tient debout et marche de manière autonome sans l’intervention d’aide ou de suppléance externe mû par un système musculaire et nerveux faisant varier la tonicité musculaire responsable de cette motricité et de la coordination, de l’équilibre et de la posture.

En gardant cette vision de la globalité du corps, l’analogie du modèle de tenségrité lui va très bien. 

Biotensegrity. Peter Levin.

Biotensegrity. Peter Levin.

Lorsque l’on imagine une colonne vertébrale comme une structure en tenségrité et non plus comme un empilement de vertèbres telle une colonne romaine, la réalité biomécanique est tout autre. De nombreux scientifiques pensent (à tort peut-être ?) que la plupart des contraintes et des problématiques dégénératives du rachis proviennent de la verticalité et du poids du corps au dessus du bassin. C’est bien évidement un problème beaucoup plus systémique que celui du poids et de la sédentarité.

Comment imaginer la croissance, le développement et la dégénérescence des structures rachidiennes chez l’animal quadrupède ?

La plupart de ces tissus conjonctifs qu’ils soient musculaires, tendineux, ligamentaires supportent bien mieux les contraintes en traction, contrairement aux os, qui, grâce à leur constitution en partie minérale, supportent bien mieux les contraintes en compression.

Est-ce que le modèle est une finalité en soi ?

Selon la définition de Jean-Louis Le Moigne : « Un modèle est une production de l’esprit visant à représenter symboliquement un phénomène. » (Le Moigne J.L. 1993). Un modèle est un outil pour comprendre, modéliser ou simuler, pas pour agir ou soigner et encore moins guérir.

La question est de savoir si ce modèle est pertinent à toutes les échelles des éléments constituants le corps humain. Cohérent à l’échelle visuelle des muscles, des articulations et des os, l’est-il toujours à une échelle histologique plus fine ?

Les formations ostéopathiques post graduées en relation avec le concept de tenségrité foisonnent dans le paysage ostéopathique français. Quel est l’intérêt d’enseigner des techniques ostéopathiques anciennes, plutôt que des principes de traitement, revisitées au travers d’un modèle nouveau et à la mode ? 

 

L’architecture du vivant

 

Le réseau conjonctif

Les images qui vont suivre sont issues des films du Dr Jean Claude Guimberteau, publiées avec son aimable autorisation. 

Le Dr Guimberteau a réalisé plusieurs films qui sont le fruit d'une longue expérience chirurgicale et de nombreuses heures d'observation endoscopique peropératoire cherchant à comprendre la mobilité de la matière vivante humaine.

Le problème principal survenu au cours de ces expériences est l'organisation de la matière vivante elle-même. Il parle d’une « architecture structurante multifibrillaire et globalisante. »

Architecture structurante multifibrillaire conjonctive sous cutanée

Architecture structurante multifibrillaire conjonctive sous cutanée

Lors du mouvement, le corps et les organes bougent et reviennent toujours à leur position initiale. Le corps a cette capacité à sauvegarder sa forme corporelle et à maintenir son intégrité.

Sa curiosité n’ayant d’égale que sa pugnacité à tenter de comprendre, il évoque le peu de recherches faites sur le tissu conjonctif ; les travaux des biologistes étant focalisés, jusqu’à une période récente, sur la cellule exclusivement.

Il martèle la prédominance de ce type de tissu comme étant un tissu constitutif plus que conjonctif (étymologie de joindre), pour lui un changement de paradigme est nécessaire : le tissu conjonctif n’est pas le lien entre les organes mais plutôt le contenant dans lequel les organes se seraient constitués.

 

Une structure polyédrique fractale

Sous la contrainte d’étirement, le comportement de la peau est élastique (retour à la structure et la forme initiale), des lignes de force apparaissent ou disparaissent en fonction de l’intensité et de la direction de la contrainte subie.

Certains points restent fixes jusqu’à une certaine limite de contrainte, d’autres se modifient plus brièvement. Ces mêmes points fixes constituent des travées plus profondes s’invaginant dans le derme et l’hypoderme.

Structure cutanée épidermique polyédrique (500 microns et 50 microns)

Structure cutanée épidermique polyédrique (500 microns et 50 microns)

En coupe, la peau est précontrainte (en tension préalable, d’ou la suture nécessaire lors d’une coupure)

En résumé, la surface cutanée s’adapte aux contraintes en même temps que la profondeur.

Ce tissu fibrillaire s’infiltre et est présent partout : de l’épiderme à l’hypoderme, autour et au sein des muscles, constituant les tendons et les ligaments, périnerve, périoste. 

Trame conjonctive fibrillaire s’infiltrant dans le muscle.

Trame conjonctive fibrillaire s’infiltrant dans le muscle.

Le changement de paradigme fait qu’il est nécessaire de raisonner en terme de volume anatomique et non de structure plane, comme on a encore trop souvent l’habitude d’apprendre dans les livres d’anatomie.

Le Dr guimberteau fait apparaître, grâce à l’endoscope, une structure polyédrique, microvacuolaire avec un cadre fibrillaire autour. Le cadre est constitué de collagène (de type I ou III à 80%) et d’élastine, la vacuole est remplie de gel de polysaccharides (glycoaminoglycannes (GAG), très hydrophile). 

Gel de polysaccharides et microvacuole.

Gel de polysaccharides et microvacuole.

Cette structure est responsable de la forme, et, contient l’eau en son sein. C’est la différence entre les petites mains grassouillettes des bébés par rapport aux mains des personnes âgées, ou comme les baobabs qui retiennent l’eau dans leur tronc afin d’affronter la sècheresse. 

Baobabs. Madagascar.

Baobabs. Madagascar.

La microvacuole est une architecture optimisée de l’espace (comme les structures alvéolaires en nid d’abeille) que l’on retrouve partout (conformément à la théorie de D’arcy Thomson sur l’invariance de structure).

La cellule s’intègre au sein de ces microvacuoles et de ce cadre fibrillaire (de même taille, de 10 à 50 microns). 

Arts, nature et anatomie

Grace à cette structure, la contrainte se repartit partout, en volume et en 3D, sur l’ensemble du corps.

Le paradoxe est de savoir pourquoi cette structure permet d’adapter un comportement élastique, donc de retour à la forme initiale, et en même temps permet de répartir la contrainte sur l’ensemble du corps ?

Comment garder souplesse et non rigidité (c’est à dire avoir un système d’amortissement) et en même temps avoir un impact sur l’ensemble du corps ? en gros comment concilier la diffusion et l’absorption de la contrainte par la force produite ?

Le corps conjonctif a cette grande capacité de changement morphodynamique issu de millions de fibrilles en un instant sur une échelle très petite, répartissant les contraintes sur une échelle plus grande, potentiel de mouvement infini contre disant la notion d’axe de mobilité fixe et unique.

 

Les limites du modèle de tenségrité

La capacité de la fibrille de résister à la traction et de se réorganiser à la compression contredit le principe de tenségrité qui veut que les structures ne résistent qu’à un seul type de contrainte (traction ou compression mais pas les deux ensembles).

De plus, la notion de pression (proportion de GAG et d’eau dans la microvacuole) n’est pas prise en compte dans le modèle de tenségrité. 

Le Dr Guimberteau met en évidence des « Superpositions annelées intrafibrillaires, comme première étape pour faire face à la sollicitation ». Il nous faut donc un autre modèle que celui de la tenségrité pour comprendre ce phénomène d’adaptation fibrillaire. 

Superpositions annelées intrafibrillaires.

Superpositions annelées intrafibrillaires.

Des travaux récents sur la soie d’araignée sont intéressants à ce titre. Les chercheurs de l’Institut Jean le Rond d’Alembert (CNRS/UPMC), et leur collègue de l’université d’Oxford (Elettroa 2016) ont mis au point un matériau synthétique innovant se comportant comme un liquide en compression (ne se casse pas) et un solide en traction (résistance). Ils se sont inspirés de l’observation de la soie d’araignée, qui, lorsqu’elle est comprimée, se raccourcit et s’enroule à l’intérieur de gouttelettes de colle en suspension sur la toile. 

Ainsi, celle-ci reste totalement droite et sous tension quelle que soit la force de compression appliquée. De plus, le processus est réversible car le fil se débobine en traction. Etonnement, le conjonctif humain fait la même chose. 

 

Les réseaux

 

Le cytosquelette

Cette notion de réseau ne s’arrête pas à l’échelle du fibroscope. On retrouve la même dynamique structurante au sein de la cellule comme l’a montré Donald Ingber. (voir article sur le cytosquelette et la mécanobiologie)

Ce cytosquelette, composé de plusieurs types de fibrilles s’organise en réseau et confère à la cellule une certaine rigidité. 

Arts, nature et anatomie

Mais la compréhension de l’organisation de celui-ci n’en est encore qu’au balbutiement. De récents travaux fait par Eric Karsenti et son équipe à l’EMBL, qui lui ont valu la médaille d’or du CNRS en 2015, font état de découvertes majeures dans la régulation du cycle cellulaire. Il s'est intéressé à l'horloge qui rythme les divisions de l'embryon et régule la dynamique du cytosquelette lors de la mitose. Contrairement à ce qui était connu jusqu’à cette découverte, ce n’est pas le fuseau mitotique qui s’organise pour « capter » les chromosomes et les distribuer mais l’inverse. Ces derniers, préalablement, organisent le réseaux en déstabilisant et en réorganisant le réseau de microtubules (grâce à une enzyme, la kinase cdc2) pour constituer le fuseau mitotique. C’est une fonction complexe, auto organisée et émergente du comportement collectif des composants cellulaires. 

 

Les réseaux neuronaux

Dans la représentation, la cartographie du cerveau et la localisation différenciée des fonctions cérébrales l’idée est venue de la phrénologie du neurologue allemand Franz Joseph Gall (1757-1828). 

Phrénologie du neurologue allemand Franz Joseph Gall (1757-1828).

Phrénologie du neurologue allemand Franz Joseph Gall (1757-1828).

Cette cartographie simpliste et plane a fait place à une représentation tridimensionnelle permise par les nouvelles imageries actuelles. Dans l’image ci-dessous, on peut visualiser une sorte "d’atlas sémantique" qui montre les régions dans lesquelles sont traités les mots lorsque l'on écoute une histoire.

The Brain dictionary.

Des recherches récentes tentent de modéliser l’architecture cérébrale (blue brain project) afin de mieux comprendre le réseau neuronal et de pouvoir créer des simulations et pourquoi pas dans un proche avenir créer une forme d’intelligence artificielle. 

Architecture cérébrale (blue brain project)

Architecture cérébrale (blue brain project)

D’autres représentations artificielles, numériques pour la plupart, sont maginifiques, prenez le temps de les visualiser avec, je l'espère, autant de plaisirs que j'ai pu avoir à les regarder. 

Carte interactive des maladies, Visualisation des réseaux planétaires, Carte des appels téléphoniques aux USA, Cartographies des additifs alimentaires, Cartographies des co-occurences médiatiques mondiales (les mentions des pays dans les médias), Data visualisationTrafic aérien mondial sur 24h, et pour les amateurs de bière....

L’essor du numérique a bouleversé le monde et ses représentations. Nous sommes à l’avènement d’une période de « nouvelle renaissance » comme on a pu l’être au siècle des lumières. Le monde et nos rapports aux savoirs changent grâce aux métadonnées qui deviennent accessibles au plus grand nombre d’entre nous. Gageons que celles-ci soient utilisées au mieux dans l’avenir. 

 

Le Networkism

Pour le néophyte, visualiser et s’imaginer un réseau de fibrilles invisibles à l’œil nu reste difficile. De même à une autre échelle, beaucoup plus grande, imaginer et comprendre le fonctionnement d’un réseau internet ou aérien n’est pas à la portée de tout le monde.

 

Pouvoir donner une représentation visuelle des systèmes complexes et des réseaux les constituants, par l’intermédiaire des nouveaux moyens de diffusion et de visualisation de la connaissance n’est pas chose facile. Pourtant les réseaux sont omniprésents et cachent des algorithmes qui tentent de représenter la complexité et les interconnexions des éléments d’un système ou d’un écosystème.

L’art est peut être un moyen de donner cette représentation voulue. Les représentations en arborescence que nous avons évoqué au début de ce texte en sont quelques unes, mais elles restent assez figées et peu représentatives que ces réseaux conjonctifs et cellulaires que nous avons vus.

L’abord pluridisciplinaire alliant design, informatique, sculpture, sociologie et sciences diverses peut nous aider à mieux visualiser et comprendre ces réseaux et leur mode de fonctionnement.

Manuel Lima, désigner, artiste s’est intéressé à ces réseaux, au point de créer un courant artistique : le networkism. A l’origine d’un site en 2005 (VisualComplexity) compilant de nombreux exemples des représentations de la complexité dans des domaines très variés. 

Les exemples sont nombreux, variés, parfois très élégants et fascinants.

Comment peut-on imaginer une cellule adhérent à son substrat ?

 

Les figures de l’artiste Tomas Saraceno ressemblent étrangement à la structure d’une cellule cancéreuse.

 

Tomas Saraceno. Galaxies forming along filaments. 2009.

Tomas Saraceno. Galaxies forming along filaments. 2009.

Tomas Saraceno. Galaxies forming along filaments. 2009.

Tomas Saraceno. Galaxies forming along filaments. 2009.

Tomas Saraceno. 14 Billions. 2010.

Tomas Saraceno. 14 Billions. 2010.

Tomas Saraceno. On space time foam. 2012.

Tomas Saraceno. On space time foam. 2012.

L’enchevêtrement du conjonctif s’infiltrant dans les muscles et les décors de Monika Grzymala. De même que les insertions tendineuses d’évaginant sur le périoste ou les rétinaculums s’étalant sur les espaces articulaires.

Monika Grzymala. Envoi 2016.

Monika Grzymala. Envoi 2016.

Monika Grzymala. Cycle 2016. Raumzeichnung. 2015.

Monika Grzymala. Cycle 2016. Raumzeichnung. 2015.

Le cadre fibrillaire du Dr Guimberteau que l’on peut visualiser au travers des œuvres de l’artiste japonaise Chiharu Shiota

Photos de haut en bas et de gauche à droite :  Presence in the Absence[Rochester Art Center, Rochester, Minnesota / USA]photo by Caylon Hackwith. 2014.  Sleeping is like Death, Galerie Daniel Templon, Brussel, photo by Isabelle Arthuis. 2016 Cadre fibrillaire (Dr Guimberteau).  In Silence [CentrePasquArt, Biel - Bienne ]. 2008

Photos de haut en bas et de gauche à droite : Presence in the Absence[Rochester Art Center, Rochester, Minnesota / USA]photo by Caylon Hackwith. 2014. Sleeping is like Death, Galerie Daniel Templon, Brussel, photo by Isabelle Arthuis. 2016 Cadre fibrillaire (Dr Guimberteau). In Silence [CentrePasquArt, Biel - Bienne ]. 2008

La densité osseuse et la densité des travées sur ce tableau de Katie lewis

Arts, nature et anatomie

Références

 

Flaubert G. Par les champs et par les grèves,1881

Mallarmé S. 1865. Brise marine

James Edwin Oliver. The tree of life. Brill. 1966. 

Berthoz Alain. 1997. Le Sens du mouvement. Odile Jacob

Sarger R., Structures Nouvelles, Centre d'Etudes Architecturales, A.S.B.L., Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles, 1967

Benoist J.M. 1980. La révolution structurale. Denoël.

Motro R. Tenségrité. Lavoisier. 2005

Raducanu V. Architecture et système constructif: Cas des systèmes de tenségrité. Thèse de doctorat. Dir. R. Motro. Université Montpellier II. Soutenue le 28-09-2001

Stephen Levin biotenségrity

Lima M (2011) Visual Complexity: Mapping Patterns of Information (Princeton Architectural Press, Princeton), p 232.

Hervé Elettroa, Sébastien Neukircha, Fritz Vollrathb, Arnaud Antkowiaka. 2016. In-drop capillary spooling of spider capture thread inspires hybrid fibers with mixed solid–liquid mechanical properties. PNAS. May 31, 2016. vol. 113. N° 22. 6143–6147. doi/10.1073/pnas.1602451113 

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