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23 Apr

Intra-osseux ou extra-osseux ? 1/2

Publié par francois delcourt  - Catégories :  #Biomécanique, #Ostéopathie

Vincent Van Gogh. La nuit étoilée. 1889.

Vincent Van Gogh. La nuit étoilée. 1889.

A gauche : photo d’ostéon.

A droite : Vincent Van Gogh. La nuit étoilée. 1889.

Van Gogh utilise des lignes de forces pour mieux centrer l’intérêt du tableau, à savoir les spirales. Le cyprès semble comme une structure venant s’infiltrer dans ce ciel spiralé, tournoyant, plein d’arabesques et de circonvolutions aspirant le regard au plus profond de la nature. Le village et ses maisons, comme des cellules accolées à ce tissu étoilé prenant tout l’espace, la lune et les étoiles ne rayonnent que localement comme un instant privilégié à celui qui sait regarder. Et c’est bien là, la caractéristique du curieux, la beauté de la nature n’apparaît qu’à celui qui sait regarder différemment et passionnément.

 

La fascination de l’os

Bien avant les ostéopathes, dans de nombreuses cultures diverses, sur tous les continents, l’os fascine, devenant objet ritualisé, païen ou religieux. 

Crânes tibétains sculptés.

Crânes tibétains sculptés.

En dehors des caractéristiques culturelles, l’aspect scientifique, anthropologique et médico-légal a dominé durant des siècles, donnant des indices sur le moment de la mort, les caractéristiques raciales, et la façon dont les personnes ont vécu. Cependant certaines caractéristiques des os vivants, du fait de la difficulté d’expérimenter ces tissus in vivo, sont parfois peu connues. 

En république Tchèque, dans l’église de Sedlec sont rassemblés de nombreux squelettes  servant à la constitution de la quasi-totalité du mobilier et des objets de culte.

En république Tchèque, dans l’église de Sedlec sont rassemblés de nombreux squelettes servant à la constitution de la quasi-totalité du mobilier et des objets de culte.

Composition osseuse

Il existe chez les mammifères deux types d’os : l’os cortical (os compact) qui représente 80 % de la masse osseuse, le plus solide, réserve de calcium, il se régénère constamment et est situé sur la partie externe de l’os.

L’os spongieux (os trabéculaire) qui représente 20 % de la masse osseuse, situé au niveau des extrémités des os et à l’intérieur des os longs et courts (vertèbres), il est comblé par la moelle osseuse rouge, tissus hématopoïétique richement vascularisé.

De plus, il faut bien comprendre que l’os a une structure mixte : à la fois conjonctive (22%) et minérale (69%). Un expérience de SVT de collège consiste à prendre un os de poulet cru et de le plonger dans de l’acide ; il devient mou. De même, un autre os cuit au four devient cassant et friable, réductible en poudre ; c’est le principe de la crémation : réduire en poussière toute la matière vivante, organique et minérale.

 

L’os cortical est histologiquement représenté par un système haversien dans lequel l’os est constitué d’ostéons, sorte de cylindre creux parallèle à l’axe long de l’os, composés de lamelles concentriques dont les fibres de deux lamelles adjacentes ont une orientation alternée afin de renforcer la solidité de l’ensemble.

La composition de ces ostéon est à la fois minérale (cristaux d’hydroxyapatite) et organique (collagène). Cet ensemble créant une structure compacte, hétérogène, anisotrope et viscoélastique.

Le centre de chaque ostéon est creusé par un canal (canal de Havers) dans lequel s’infiltre des vaisseaux sanguins et nerfs. D’autres canaux perpendiculaires à ces derniers (canaux de Volkman), permettent la communication entre le périoste (peau de l’os), les canaux de Havers et la cavité médullaire. 

Os compact.

Os compact.

A la jonction entre deux lamelles on trouve des lacunes, espaces vides appelés ostéoplastes, dans lesquels se situent les ostéocytes, sortes de vieux ostéoblastes, en forme « d’araignée » car de leur forme émane des canalicules reliant les ostéocytes entre eux au sein des ostéoclastes. Tout ce réseau de canalicules forme un véritable syncytium et un organe endocrinien producteur d’hormones. 

Système osseux Haversien.

Système osseux Haversien.

Ostéocytes et canalicules.

Ostéocytes et canalicules.

L’os spongieux est constitué de travées, semblant moins structuré mais ces travées sont une orientation correspondantes aux contraintes subies par l’os. Les travées se composent de lamelles irrégulières et des ostéocytes mais sans ostéons. Ces lamelles baignent dans la moelle osseuse richement vascularisé et ainsi reliées aux ostéocytes. 

Différents types d’os.

Différents types d’os.

Aspect trabéculaire de l’os spongieux.

Aspect trabéculaire de l’os spongieux.

Densité osseuse et âge.

Densité osseuse et âge.

Dans la maladie ostéoporotique, l’os trabéculaire présente des raréfaction de sa trame, le nombre et l’épaisseur des travées diminuent, leur écartement augmente.

L’environnement vasculaire a une importance indéniable dans la structure osseuse. Les procédées d’imagerie synchrotron permettent grâce aux rayons à haute énergie de visualiser l’os à une échelle beaucoup plus fine et précise et permet une reconstruction 3D des échantillons observés. 

Réseau vasculaire de l’os compact (en vert) et trabéculaire (en rouge).

Réseau vasculaire de l’os compact (en vert) et trabéculaire (en rouge).

Contraintes mécaniques intra-osseuses

L’anatomie de l’os est sous la dépendance de facteurs chimiques et mécaniques. Il possède d’excellentes propriétés de résistance à la rupture et à la fatigue (100 à 200 MPa)

Les ostéocytes sont des cellules mécanosensibles répondant aux forces de cisaillement induites par les mouvement liquidiens à l’intérieur des canalicules.

La contrainte en compression avant rupture de l’os cortical est de 150 MPa avec un module de Young de l’ordre de 2 GPa. Pour l’os trabéculaire la contrainte en compression est de 1 à 7 MPa et un module de Young de 80 MPa.

Les contraintes subies par l’os dépendent de nombreux paramètres. La répartition des contraintes, l’amplitude et la fréquence, la durée, l’orientation de celles-ci revêt une importance non négligeable.

Différents types de contraintes peuvent être subies : la compression, la traction, le cisaillement, les contraintes électriques.

Différents types de contraintes peuvent être subies : la compression, la traction, le cisaillement, les contraintes électriques.

Stimulations physiques intervenant dans l’environnement des cellules osseuses (Rubin, Rubin et al. 2006)

Ces contraintes provoquent des déformations (strain ε) ou microdéformations (microstrain με) locales correspondant au rapport entre l’allongement ou le rétrécissement du matériau de sa longueur initiale.

Ex : ΔL/L = 1 μm/m = 10-4 % = 1 με

Les microstrain négatifs correspondent à des compressions, les positifs à des tractions.

Bien évidemment, il est rare de subir des contraintes uniques et pures, plus souvent il s’agit d’un ensemble de contraintes couplées.

L’adaptation de l’os se fait généralement lors de contraintes cycliques, peu de réponse tissulaires sont observées lors de contraintes statiques.

Lors de contraintes normales, comme la locomotion, l’os est soumis à des contraintes hautes amplitude et basses fréquences (fortes déformation > 1000 με peu souvent) mais également faibles amplitudes et hautes fréquences (peu de déformations 10 à 100 με mais souvent).

Pour avoir un ordre d’idée, au-delà de 3000 με les contraintes sont supra physiologiques et considérées comme délétères si elles ont supérieures à 5000 με.

L’os se déformant, il va créer une différence de potentiel au sein de la structure. Cette DDP est liée aux propriétés piézoélectriques de l’os et des mouvements liquidiens (associés à des particules chargées dans ce liquide) à l’intérieur de celui-ci, les streaming potentiels.

 

Propriétés piézoélectriques

certains matériaux ont la capacité de se polariser sous l’action d’une contrainte mécanique et inversement, se déformer lors de l’application d’un champs électrique. 

Effets mécaniques de la piézoélectricité et effets piézoélectriques sur la mécanique.

Effets mécaniques de la piézoélectricité et effets piézoélectriques sur la mécanique.

C’est Fukada en 1957 qui fut le premier à étudier ce phénomène décrivant la polarisation électrique proportionnelle à la contrainte mécanique déformant l’os. Au niveau des zones osseuses comprimées, il se produits des charges électronégatives et des charges électropositives lors des tractions subies. 

Piézoélectricité osseuse.

Piézoélectricité osseuse.

Au niveau d’un os au repos, les gammes de potentiels électriques sont de l’ordre de 0,1 à 10 mV, alors qu’en activité physique normale, les gammes de potentiels électriques sont de -100 mV à 20 mV. Ce niveau de piézoélectricité varie en fonction de l’humidité et de l’hydratation du tissu (il y a 50% d’eau dans l’os vivant entier).

Qui est responsable de cette piézoélectricité ? Serait-ce la partie minérale ou organique ?

Otter et al. en 1988 (Otter, Goheen et al. 1988) ont montré que l’os naturel et l’os déminéralisé (dont la partie minérale est retirée) ont des potentiels électriques fort comparativement à l’os inorganique (dont la partie conjonctive est retirée).

Le collagène répond aux contraintes mécaniques par des manifestations piézoélectriques le long de ses fibres. Il existe donc une piézoélectricité là ou la composante organique est plus importante ; la surface osseuse.

La piézoélectricité du collagène déformé participe à la précipitation d’hydroxyapatite sur ces fibres, et ce, même sans présence d’ostéoblastes. La piézoélectricité est un élément essentiel de la minéralisation. (Noris-Suarez. 2007)

 

Les streaming potentiels

la piézoélectricité collagénique, à l’extérieur de l’os peut influencer les liquides circulants dans les canaux de Havers et de Volkman et les canalicules. De plus le mouvement des charges ioniques dans ces fluides pourrait changer sa viscosité par électro-osmose.

Ainsi les contraintes mécaniques de l’os engendrent des mouvements de charges créant des potentiels de flux (streaming potentials) entre la surface et la profondeur de l’os.

Différence de potentiel électrique générée par la déformation osseuse. (Turner and Pavalko 1998)

Différence de potentiel électrique générée par la déformation osseuse. (Turner and Pavalko 1998)

L’os est ainsi parcouru par des différences de potentiels électriques que ce soit à la surface ou dans la profondeur.

Le mécanostat.

Les stimulations mécaniques affectent l’activité des cellules osseuses, activent certains facteurs de croissance (VEGF) modulant la microarchitecture et la qualité de l’os donc sa résistance à la fracture. C’est le concept du mécanostat de Frost (Frost 1987). 

Le mécanostat selon Frost.

Le mécanostat selon Frost.

Courbe des contraintes mécaniques dans la théorie du mécanostat.

Courbe des contraintes mécaniques dans la théorie du mécanostat.

Lors de l’apparition de contraintes de surcharges ou sub-pathologiques, des fissures et des microfissures peuvent apparaître au sein du tissu osseux. Les microfissures apparaissent lors des contraintes de la vie quotidienne. Les microfissures font l’objet d’un remodelage osseux localisé et constant. Selon leur localisation, ces microfissures peuvent rompre les canalicules au sein des ostéocytes dans l’os compact ou comme dans ces images fragiliser les trabécules. Le remodelage initier par ces microfissures peut etre altéré et compromettre la solidité du matériau.

 

Intra-osseux ou extra-osseux ? 1/2

Le concept du mécanostat part du principe de la mécanotransduction. L’ostéocyte (en blanc) siège dans la matrice osseuse calcifiée (en beige) et des protéoglycannes en brun (GAG) ; c’est l’ostéoclaste. Les prolongements cytoplasmiques forment des cils au sein des canalicules dont l’architecture est réalisée grâce aux protéines du cytosquelette (microtubules en lignes bleues, actine en lignes rouges). Les intégrines font le lien entre le cytosquelette et la matrice osseuse (en bleu) et sont étirées via les mouvements des fluides interstitiels. Ces mêmes étirements provoquent l’ouverture de certains canaux ioniques (violet) réalisant des réactions biochimiques entre l’ostéocyte et son environnement. C’est la transduction d’un signal mécanique en signal chimique. (Klein-Nulend. J. 2012). 

d'après Klein-Nulend. J. 2012.

d'après Klein-Nulend. J. 2012.

Un signal mécanique reçu se transforme en un signal moléculaire provoquant une action des cellules effectrices osseuses.

Une activité physique appropriée permet d’augmenter la masse osseuse et modifie l’architecture osseuse, inversement, une diminution des contraintes engendre une perte osseuse et une diminution de sa formation.

Dans sa théorie, Frost tient compte de l’amplitude des contraintes mécaniques sans tenir compte de leur fréquence.

Les caractéristiques ostéogéniques de l’exercice physique sont majorées dans les sports à forts impacts et ce principalement dans les régions osseuse ou ces contraintes agissent.

Les contraintes mécaniques de hautes amplitudes (supérieures à 2000 με) et basses fréquences (inférieures à 3 Hz) correspondant à des activités physiques à frot impact sont génératrice d’os ; mais il se trouve que les contraintes de basse amplitudes (inférieures à 300 με) et hautes fréquences (supérieures à 10 Hz) le sont aussi. Ces dernière sont prédominantes dans les activités journalières, comme la marche, les premières sont plus générées lors d’activité de réception de sauts ou de chocs comme lors d’un plaquage au Rugby par exemple.

 

Pratique ostéopathique

Certaines pratiques ostéopathiques comme le lien mécanique ostéopathique (LMO, inventé par Paul Chauffour et Eric Pratt) examinent le corps à la recherche de « densités » par la palpation. Ces densités sont censées être des blocages ostéopathiques, des zones « verrouillées », sans « vie ». Lorsque deux zones bloquées sont mises en tension simultanément, l’une d’elle va « lâcher », la zone restante est censée être la « lésion primaire » qu’il conviendra de traiter par une technique de recoïl.

Cette technique consiste à mettre en tension au maximum (dans les trois plans de l’espace) la structure puis par un geste rapide et bref créer une onde de choc et se retirer rapidement.

 

La dysfonction intra-osseuse

Classiquement, les dysfonctions intra-osseuses sont « une perte de la flexibilité ou de compressibilité normale des fibres constituant la matrice du tissu osseux ou des zones cartilagineuses ou membraneuses non encore ossifiées. » (Duchanois 2011)

Le support scientifique et physiologique supportant cette notion « d’intra-osseux » est constitué par les deux notions de streaming potentiels et de piézoélectricité.

Manuellement, lors d’un test en pression, sur un tibia par exemple, on peut distinguer des différences ou certaines zones peuvent sembler « soupes et élastiques », d’autres par contre, « dures et rigides ». ce que les ostéopathes nomment « densité » n’est autre que de la dureté perçue, et cette perte de qualité résulterait d’une perturbation du flux interstitiel dans les canalicules. La technique de recoïl permettrait de traiter cette « lésion primaire » intra-osseuse ; mais même si l’hypothèse semble pertinente, peut-on s’assurer que cette technique agisse réellement au niveau intra-osseux ?

Le toucher ostéopathique n’a pas la puissance générée lors d’un choc au Rugby et parfois bien moindre que celle de la marche. Les fréquences du toucher ostéopathiques sont aussi bien moindre que des activités journalières et heureusement supérieures à celle des chocs traumatiques.

Quelles sont les contraintes causées par ce toucher ostéopathique (manipulatif ou non) ? quelles formes de mécanotransduction prennent-elles dans l’os ? qu’activent-elles ? que sont-elles censées provoquer ? et si elles ont une action, par quel mécanisme ?

On pourrait se poser alors la question de l’intensité et de la fréquence de nos actions manuelles et de leur conséquences. Se pourrait-il qu’il y ai d’autres hypothèses possibles de ces actions ? 

Références

 

Rubin, J., C. Rubin, et al. 2006. Molecular pathways mediating mechanical signaling in bone. Gene 367: 1-16.

 

Otter, M. S. Goheen. 1988. Streaming potentials in chemically modified bone. J Orthop Res 6(3): 346-59.


 

Noris-Suarez K. Lira-Olivares J. 2007. In vitro deposition of hydroxyapatite on

cortical bone collagen stimulated by deformation-induced piezoelectricity. Biomacromolecules 8(3): 941-8.


 

Turner C. H. Pavalko F. M. 1998. Mechanotransduction and functional response of the skeleton to physical stress: the mechanisms and mechanics of bone adaptation. J Orthop Sci 3(6): 346-55.

 

Frost H. M. 1987. Bone "mass" and the "mechanostat": a proposal. Anat Rec 219(1): 1-9.


 

Duncan RL, Turner CH. 1995. Mechanotransduction and the functional reponse of bone to mechanical strain, Calcif tissue int. Nov 57:5 344-58.

 

Klein-Nulend. J. 2012. Mechanical loading and how it affects bone cells: the role of the osteocyte cytoskeleton
in maintaining our skeleton. European Cells and Materials Vol. 24 (pages 278-291) DOI: 10.22203/eCM.v024a20.

 

Chauffour Paul. Prat Eric. Le Lien Mécanique Ostéopathique. Théorie et pratique. Sully. 2003.

 

Duchanois Charlène. 2011. Ostéopathie et nouveau-né, l’accompagnement en post-partum ? Etude de la population concernée dans deux cabinets d’ostéopathie de Metz et de Fenetrange. Université Henri Poincaré, Nancy I. École de Sages-femmes Albert Fruhinsholz.

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