Le raisonnement. Le système cognitif et ses biais.
D’abord intitulé le poète et censé orner le tympan de la porte de l’enfer, cette œuvre représente Dante, l’auteur de la Divine Comédie, penché en avant afin d’observer les cercles de l’enfer et de méditer sur son œuvre. Être damné, corps et âme torturés, transcendant sa souffrance par la poésie d’un esprit néanmoins libre, ce corps puissant évoque la pensée, les émotions et l’action propres au raisonnement.
La raison a succédé aux mythes depuis l’antiquité. L’apport de la philosophie classique a été de détruire ces mythes, vérités indiscutables, pour passer à un mode de raisonnement rationnel, que l’on qualifierait aujourd’hui de cognitif. Au XVIIe siècle, on doit à Descartes, célèbre pour son cogito ergo sum (je pense donc je suis), l’élaboration de règles, dans sa méthode, pour apprendre à diriger son esprit, des erreurs de raisonnement vers une pensée logique. Aujourd’hui, la place est donnée à la façon dont le cerveau fonctionne dans des processus de cognition, d’apprentissage et de décision. Le premier à se poser la question de la décision d’un point de vue économique et politique a été Daniel Kahnemann, (Kahneman, 2012), celui-ci ayant reçu le prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux.
Kahneman décrit deux systèmes de raisonnement : le système 1 et le système 2. Le système 1 est qualifié « d’intuitif », automatique et sans contrôle, rapide, réactif, heuristique (automatique), pleins d’illusions de vérités, utilisant une mémoire associative, biaisé pour croire et confirmer, cohérent émotionnellement, sélectif dans l’examen des preuves. Face à un questionnement, ce système fait appel à des inférences inductives stéréotypées (donc biaisées[1]) plutôt que fréquentistes et logique en terme statistiques. Nos préférences, nos jugements, nos raisonnements, nos décisions sont tous dépendants du cadrage plus que de la réalité objective (statistique et mathématique). De plus, ils sont sensibles à la charge émotionnelle des mots.
« Si on vous dit de ne pas penser à un éléphant, comme la plupart des gens vous allez immédiatement construire l’image mentale d’un éléphant. » (Edelman, 1992)
Ce système rejoint « la théorie dite des « marqueurs somatiques », théorie à la fois biologique et psychologique qui explique comment les émotions peuvent guider le raisonnement dans notre cerveau, via le cortex préfrontal et les fonctions exécutives (fonctions de contrôle : marche/arrêt). » (Houdé, 2018)
Le système 2 est quant à lui est « logique », faisant appel à des inférences déductives, il suit des règles logiques et cohérentes, il est réflexif, plus lent, nécessite plus d’attention de la part du sujet pour raisonner.
Mais comment passer du système 1 automatique et biaisé au système 2 plus logique ? O. Houdé (Houdé O. , 1997) a ainsi posé le principe cognitif d’un nécessaire Système 3 de contrôle inhibiteur. Raisonner c’est apprendre à inhiber ! cela consiste à utiliser des circuits cérébraux indirects, alternatifs, couteux en terme cognitif, qu’il appelle « vicariance cognitive ». Ce système 3 fait appel à un contrôle exécutif de certaines fonctions cérébrales, fait passer dans un mode métacognitif faisant appel à des structures corticales particulières (cortex préfrontal ventro médian) permettant la flexibilité de passage du système 1 au système 2.
Les biais cognitifs sont légion. 200 biais sont identifiés à ce jour. Nos perceptions corporelles sont biaisées en premier lieu introduisant des processus cognitifs et interprétatifs eux aussi biaisés. Face à des problèmes, notre cerveau invente des stratégies pour les résoudre, parfois sur des bases expérientielles erronées ou décontextualisées provoquant des raccourcis spontanés et inconscients.
Parfois utiles, d’autres fois futiles, ils peuvent être des leviers pouvant orienter nos interprétations.
Les causes de ces biais peuvent se résumer en quatre notions :
1. Le trop plein d’information (infobésité) nous oblige à filtrer massivement
2. On réagit et s’encombre du strict nécessaire
3. On passe directement aux conclusions
4. Le manque d’informations précise rend confus, nous interprétons
Les solutions engagées nous jouent des tours car :
· Nous ne voyons pas tout
· Notre mémoire renforce les erreurs
· Les décisions rapides peuvent être inefficaces
· Notre quête de sens peut générer des illusions
Références
- Edelman, G. (1992). Biologie de la conscience. Paris: Odile Jacob.
- Houdé, O. (1997, 16). The Problem of Deductive Competence and the Inhibitory Control of Cognition. Current Psychology of Cognition, pp. p. 108-113.
- Houdé, O. (2018). Le raisonnement. Que sais-je ? PUF.
- Kahneman, D. (2012). Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée. Paris: Flammarion.
[1] Les biais de raisonnement sont des tendances systématiques à prendre en considération des facteurs non pertinents pour la tâche à résoudre et à ignorer les facteurs pertinents. (Houdé, 2018)