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07 Mar

La raison des émotions

Publié par francois delcourt  - Catégories :  #Esprit et corps

Gustave Courbet (1819-1877). Le désespéré 1841. Collection privée.

Gustave Courbet (1819-1877). Le désespéré 1841. Collection privée.

La tradition académique du milieu du XIXe siècle montre des tableaux de grands formats aux sujets historiques, bibliques, mythologiques et allégoriques de la période romantique. Gustave Courbet maltraite ces conventions en affirmant que « l’art historique est par essence contemporain. » Le familier et le peuple, méritent qu’on les expose avec la plus grande noblesse et ainsi exposera ses œuvres en marge des salons classiques dans un bâtiment qu’il nomme le « pavillon du réalisme ». Le courant pictural du réalisme était né. Ce mouvement correspond à la représentions objective du monde, rejetant l’imaginaire et l’idéalisation des romantiques, traduisant « les moeurs, les idées, l’aspect de son époque » plus qu’une simple imitation du réel.

Comme l’ostéopathe au toucher feutré palpant le crâne de son patient avec finesse, contrairement à l’académisme, ici, la touche picturale est épaisse, le trait grossier, le palpé lourd comme pour accentuer la mélancolie, le cadrage est resserré, en mode paysage, en gros plan dirait-on aujourd’hui. Le clair-obscur est présent comme pour délimiter cet autoportrait sur un fond vague, une confrontation presque insoutenable du désespoir dans ce visage aux yeux exorbités, hagards.

Artiste d’apparence joviale, levant le voile sur ses tourments, il dira en 1854 : « Avec ce masque riant que vous me connaissez, je cache à l’intérieur le chagrin, l’amertume, et une tristesse qui s’attache au cœur comme un vampire. » 

 

Ceci n’est pas sans rappeler les tourments de patients livrant intimement leurs souffrances et frustrations tel un Courbet exclu du salon des refusés. L’ostéopathe se doit de faire verbaliser les émotions liées à des souffrances vécues du patient. Celles-ci sont intimement liées à son propre vécu corporel et l’ostéopathe se doit de les prendre en compte.

Dans son premier ouvrage (Damasio, 1995), A. Damasio évoque les manifestations des émotions et leur étroite relation entre le corps et le cerveau dans nos rapports à l’objet perçu. Il évoque pour cela, le cas clinique de Phinéas Cage, un ouvrier accidenté dans la zone préfrontale ventro-médiane (une barre de fer lui ayant traversé le crâne) causant chez ce dernier une perturbation manifeste des conventions sociales et des règles morales antérieurement respectées alors que ses autres fonctions intellectuelles restèrent intactes. La perception des émotions est localisée dans le système limbique, certaines zones du cortex préfrontal et dans des régions qui intègrent également des signaux en provenance du corps. Ces données sont bien éloignées d’un cerveau gauche/droite ou archaïque éloigné de nos représentations les plus élaborées. Pour lui, la perception des émotions provient d’une information corporelle associé à une information extra corporelle. Cette information porterait donc en elle une « valence » corporelle qualifiée de bonne ou mauvaise. En ce sens, une émotion peut être qualifié de bonne ou mauvaise pour le corps (dans la notion d’homéostasie). L’émotion perçue serait un mécanisme d’évaluation qualitative des relations entre l’organisme et les objets du réel (concrets ou abstraits). Le corps, dans ses dimensions spatiales et temporelles, dans ses manifestations et ses actions, donne un cadre à nos représentations. L’existence précède l’essence (la pensée) contrairement aux idées cartésiennes.

 

Dans son deuxième ouvrage (Damasio, 1999), A. Damasio examine comment les processus corporels inconscient parviennent à la connaissance. Il y défini plusieurs étapes dans l’émergence du soi. Le « proto soi » est un phénomène de l’inconscient corporel issu des marqueurs somatiques, des états du corps ; le « soi central » comme étant le ressenti de l’ici et maintenant et le « soi autobiographique » comme étant le ressenti historique corporel conscientisé, mémorisé et relaté. La « conscience noyau » (opposé au res cogitans de Descartes puisque corporel) est représentée par les deux premiers soi (le proto soi et soi central), la dernière partie représente la conscience étendue (serait-ce le res extensa de Descartes ?).

 

Ainsi la conscience, comme connaissance immédiate de soi et de son environnement, associé à des processus émotionnels participe à la constitution de l’homéostasie de l’individu. L’esprit est un contenu narratif du cerveau issu du corps biologique et de ses relations à l’objet. L’imaginaire, le récit, le contenu narratif cérébral, le ressenti intime du sentiment de soi, est subjectif et personnel et est fonction du marquage émotionnel passé et conditionne les perspectives d’avenir pour conserver l’homéostasie. Selon cette logique, le soi se modifie et se remodèle en fonction du passé vécu et de l’anticipation du futur à des fins homéostatiques. Des scénarii mentaux de désirs, d’objectifs mais aussi de vécus corporels remodèlent consciemment et inconsciemment les expériences du passé et ce que le sujet « est ». Ainsi, ce degré d’imagination peut être aidant ou perturbant pour l’assertivité du sujet. Le sentiment de soi s’enrichit avec l’expérience du soi (et de son corps), des autres, des échanges et de la culture. Cette conscience de soi, lorsqu’elle est maturée, libère le sujet de ses conditions d’existence dans sa créativité et son originalité.

 

Dans son troisième opus littéraire (Damasio, 2003), A. Damasio fait le lien avec la vision spinoziste du conatus ou l’esprit et le soi existe à travers et pour le corps grâce à l’homéostasie crée par les émotions et les sentiments. À cela il faut préciser ce que l’auteur entend par émotion et sentiment.

« Une émotion est, face à un stimulus, une collection complète de réponses chimiques et neurales automatiques formant une structure distinctive » (Damasio, 2011)

« Un sentiment est la transcription de cette émotion sur le théâtre de l’esprit à l’aide d’un processus conduisant à la production d’images mentales. (Damasio, 2011)»

Ainsi pour lui, un animal comme un mammifère par exemple, peut ressentir une émotion mais pas un sentiment qui s’y attache.

Références

  1. Damasio, A. (1995). L’erreur de Descartes. Paris: Odile Jacob.
  2. Damasio, A. (1999). Le sentiment même de soi. Paris: Odile Jacob.
  3. Damasio, A. (2003). Spinoza avait raison. Paris: Odile Jacob.
  4. Damasio, A. (2011). L’esprit est modelé par le corps. . Entretien pour la recherche.fr www.ceppecs.eu/?p=161.
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