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31 May

La rhapsodie de nos univers cellulaires, bactériens et écologiques comme fondation de notre écosystème

Publié par francois delcourt

Bas-relief de l’autel de l’ara pacis, Rome.

Bas-relief de l’autel de l’ara pacis, Rome.

Dans le récit d’Hésiode, Gaïa (ou Tellus), déesse d’où sont sorties toutes choses, est la grande divinité des Grecs anciens. Sa majesté s’impose aux hommes comme aux dieux.

Allégorie de la prospérité, les nymphes symbolisent la terre nourricière, le boeuf le feu, le mouton la terre, et le cygne l’air, l’amphore et les plantes l’abondance des biens. Gaïa et ses enfants : "se réjouissaient au milieu des festins, riches en fruits délicieux."

 

Notre univers bactérien impitoyable

Les sciences biologiques vivent en ce moment une véritable révolution, voire même plusieurs. Les progrès technologiques permettent à ce jour d’observer le vivant, jusqu’à une résolution jamais égalée auparavant, d’analyser et de croiser des milliards d’informations sur le vivant grâce au big data, et chose novatrice, dans son contexte propre, in vivo et non plus ex vivo et in vitro.

Ces nouvelles approches, du XXIe siècle, nous mettent face à notre ignorance de l’étendue de la biodiversité et des mécanismes la régulant. Le fonctionnement du vivant n’est pas régulé par les lois et dogmes que nous avions établi jusqu’à lors. La compréhension des mécanismes du fonctionnement du vivant est devant nous.

Nous avons découvert des formes de vie là ou elles nous paraissaient impossibles, comme les bactéries présentes dans les geysers, les lacs salés, la mer morte (qui porte très mal son nom finalement), les zones volcaniques soufrées des grandes profondeurs marines. C’est aussi la découverte des virus géants, inclassifiables dans l’arbre de vie actuel, de même pour notre microbiote qui fut l’objet d’une antibiothérapie à visée de destruction massive au siècle dernier faisant l’objet d’une recherche acharnée actuelle.

Quoi de plus amusant de constater qu’autrefois on encensait l’hygiénisme alors qu’aujourd’hui de récentes recherches étudient l’impact du transfert de microbiote fécal !

A une autre échelle, bien au delà du charme discret (Enders 2015) de notre continent intestinal, celle de l’immensité de nos océans, succédant au navire Beagles de Charles Darwin, la goélette Tara et ses chercheurs ont étudié la biodiversité des micro-organismes planctoniques marins ; résultats : plus de 60% des bactéries de la planète viennent des océans et nous n’en connaissons qu’à peine 10% !

Un litre d’eau de mer contient 10 à 100 milliards de micro-organismes et 100.000 milliards de bactéries tapissent nos 400m2 de surface intestinale. Ces communautés interactives avec nos corps révélées par la métagénomique nous sont inconnues à 85% car impossibles à cultiver ex vivo en laboratoire. 

Diversité planctonique.

Diversité planctonique.

Au delà de l’improbable topologique, c’est l’émergence des caractéristiques de cette symbiose entre nos corps et ces micro-organismes qui est aujourd’hui révélée.

Le microbiote digère nos aliments, mature notre immunité, module le fonctionnement de notre système nerveux, intervient dans nos comportements psychiques normaux et pathologiques (autisme, schizophrénie, dépression). Digne d’un scénario de la prochaine saga Alien, ne serions-nous finalement que des êtres hybrides homme-bactéries ? 

Notre (jeune) univers cellulaire

Notre corps contient des milliards de cellules, il est assujetti à leur mort et leur régénération constante. Si bien que l’on peut dire que le corps se régénère en permanence, mais bien entendu, ce renouvellement ne se fait pas de la même manière pour tous les tissus du corps. Il existe environ 250 types cellulaires, et chaque seconde, 20 milliards de cellules se renouvellent et se divisent.

Nos cellules intestinales se renouvellent en quelques jours, mais nos neurones perdurent de la naissance jusqu’à nos derniers instants, de même que les femmes ont un stock d’ovules dès la naissance tandis que les hommes renouvellent leurs gamètes tous les 74 jours ; chaque tissu a son propre rythme de renouvellement. On a l’âge de ses neurones et de ses ovaires. Ce rythme est fonction de la charge de travail de chaque tissu, organe et de l’endommagement subit lors de l’interaction des tissus avec leur environnement.

D’après un chercheur suédois (Frisén 2005), la plupart de nos cellules ont moins de 10 ans. Il établi ses résultats sur une datation au carbone 14 des cellules de nos tissus. En effet, le carbone radioactif de nos tissus dépend de celui présent dans notre environnement (nos aliments, l’air et l’eau), or ce taux s’est retrouvé anormalement élevé suite aux essais nucléaires durant la guerre froide et aux incidents liés aux centrales nucléaires.

« La plupart des molécules de la cellule se renouvellent constamment, mais l'ADN étant une matière qui n'échange pas de carbone après la division cellulaire, il sert de capsule témoin au carbone »

Il s’agit de mesurer le carbone 14 présent dans les tissus (dans l’ADN) au moment de la division des cellules car celui-ci n’échange plus rien par la suite.

Les os se reconstituent en une dizaine d’année, et seule 1% des cellules myocardiques se régénèrent chaque année après nos 20 ans.

Les cellules épidermiques se renouvèlent toutes les deux semaines, ce rythme augmente encore plus lorsque nous sommes à la plage, où le soleil et le sable altèrent notre épiderme plus intensément que lorsque celui-ci est protégé durant l’hivers.

Les hématies soumises à de violentes turbulences dans le flot sanguin ne vivent que 120 jours, les cellules hépatiques, chargées de détoxifier l’organisme, se renouvellent tous les 300 à 500 jours. En moyenne, la durée de vie de nos cellules n’excède pas 15,9 ans.

Nous sommes ainsi, cellulairement parlant, des adolescents d’une quinzaine d’année.

Il n’y a bien évidemment pas une seule définition de la vie mais près de 300 selon les auteurs et les disciplines ! (colloque)

Empirique et complexe, difficile à circonscrire, la vie ne se résumerait-elle pas dans la création d’un processus d’auto-organisation de complexes macro et micromoléculaires constamment remplacés constituant une matière, la mémorisant (génétique et épigénétique), l’organisant et la réorganisant (le métabolisme), la reproduisant (division sexuée et asexuée), l’adaptant en une structure complexe et robuste ?

« La plasticité est au cœur du vivant, garante d’une robustesse exceptionnelle de son fonctionnement. »

Nos vieilles cellules

Mais pourquoi cette régénération ne fait pas de nous des êtres éternellement jeunes ? Certaines théories émettent des hypothèses sur le raccourcissement des télomères (extrémité des chromosomes) de notre ADN (Prix Nobel 2009 pour les travaux de Blackburn H, Gleider C, Szostak J sur les télomères). Ces télomères agissent comme des « Horloges » internes d’obsolescence programmée. Finalement nos industriels des objets n’ont rien inventé.

La télomérase, une enzyme, reconstitue cette extrémité des chromosomes ; mais l’expression de celle-ci est réduite au fur et à mesure de notre vie. La longueur des télomère ainsi réduite, lorsqu’elle atteint un seuil limite, réduit le nombre de division et les cellules entrent en senescence ; en gros, nous vieillissons. Bien heureusement les cellules souches échappent à ce triste sort mais hélas elles sont en nombre infime par rapport à l’ensemble de nos cellules.

Parfois, notamment dans le cas du cancer, certains mécanismes encore peu connus réactivent la télomérase et conduisent à la prolifération anarchique de certaines cellules provoquant tumeurs et métastases. D’autres types cellulaires comme les cellules germinales conservent bien heureusement leurs télomères intacts. C’est la différence d’espérance de vie entre une reproduction sexuée et un clonage. Dans le premier cas l’enfant issu de cette union a une espérance de vie supérieure à ses parents, dans le deuxième cas, les « enfants » ont une espérance de vie identique à son « parent » (les limites du cas Dolly). Le Viel adage : « on ne fait pas du jeune avec du vieux » prend ici toute sa valeur.

Pourquoi certaines espèces vieillissent plus vite (ou l’inverse) que d’autres ?

Les rats taupes nus ont une longévité de 30 ans, soit 10 fois supérieure à celle de leur congénères d’espèces différentes de même taille, et ne développent jamais de cancer (un cauchemars de chercheur en labo).

Le record de longévité du règne animal est détenu par une palourde (Arctica islandica) âgée de 507 ans ! (Butler 2013). Elle est sensée avoir connu Vasco de Gama et la période Ming !

Dans le règne végétal, un pin (Pinus longaeva) dans les White mountains de Californie a un âge déterminé à 4773 ans. Un bosquet d’épicéa suédois a un âge récemment estimé à plus de 8000 ans.

Pinus longaeva

Pinus longaeva

Que les dommages génétiques non-réparés et accumulés aboutissent au dysfonctionnement des cellules, en passant par l’élimination de vieilles cellules (apoptose) ou leur sénescence (actives mais ne se dupliquent plus), ou la raréfaction des cellules souches, tous ces processus conduisent nos corps vers le trépas.

De récents travaux mettent en cause les caractéristiques épigénétiques dans l’organisation de la chromatine (qui représente l’ADN empaqueté dans le noyau cellulaire). Certaines modifications ne modifient en rien la séquence d’ADN en elle-même, mais l’organisation de son expression. Or ces modifications peuvent être régulées par des concentrations intracellulaires dépendant de l’alimentation et des forces appliquées aux cellules. La restriction calorique réduit le stress oxydatif lié à l’activité métabolique des mitochondries, organites dédiées à la production d’énergie et à la respiration. L’espérance de vie est-elle meilleure chez les personnes en restriction calorique ou chez les obèses ?

La présence d’un nombre chronique de cellules sénescentes active la sécrétion de molécules pro-inflammatoires altérant les tissus. 

De même, selon les principes de mécanotransduction, une force appliquée au niveau des intégrines, sur la membrane cellulaire, se propage le long du cytosquelette jusqu’au noyau. Ces forces rapides (5 μs contre plus de 5s dans les processus chimiques), modifient et déforment le noyau conformant la chromatine de diverses façons, induisant ainsi une expression génétique différente. (Wang 2009). 

Mécanotransduction à distance.

Mécanotransduction à distance.

Allons encore plus loin, les lamines, protéines responsables de l’intégrité structurale du noyau cellulaire sont altérées dans des maladies mimant le vieillissement de façon prématurée comme la progéria (syndrome de Hutchinson-Gilford) entrainant le décès aux alentours de 12 ans.

La mutation (non transmise par les parents) du gène impliqué dans la production des lamines produit une protéine (la progérine) qui s’accumule et s’accroche à la membrane du noyau cellulaire entrainant sa déformation et sa dysfonction.

 

Ainsi à tous les niveaux, des océans jusqu’à nos profondeurs cellulaires, la vie est partout et la symbiose prédominante. Ces univers doivent être préservés, notre survie et celle de la planète en dépendent. La difficulté est de comprendre que nos actions dans le court terme ont une incidence sur nous même et sur le long terme pour les générations futures.

Les principes de préservation écologiques sont hélas en contradiction avec des principes de consommation économique à outrance. Le premier est régit par la rareté et la diversité, le second par l’abondance et la redondance. Hélas, dans ce deuxième principe, le quantitatif est roi, l’abondance crée la réassurance faisant toujours plus d’offre consumériste que de demande réelle. On construit, on produit, on détruit toujours plus. 

Pouvoir résumer simplement les liens complexes entre la biodiversité et les écosystèmes à une échelle si large implique qu’il existe des règles générales qui organisent les écosystèmes de notre planète et que la biodiversité et le bon fonctionnement des écosystèmes sont intimement liés  

Nicolas Gross INRA. CNRS

On peut considérer la terre comme une biosphère, c’est à dire l’interaction de l’écosphère (les êtres vivants) avec l’atmosphère, la lithosphère (les sols et les sous-sols) et l’hydrosphère (les océans, les lacs et rivières). Dès les années 60 plusieurs chercheurs, comme Lynn Margulis (Margulis 1989) et James Lovelock (Lovelock 1999), évoquèrent l’hypothèse Gaïa (la déesse mère) considérant que la terre et l’ensemble de ses systèmes vivants appartiennent à une même entité préservant les conditions favorable à la vie. La terre est vue comme un organisme vivant, autorégulé, ou une atteinte environnementale à un endroit peut déréguler l’ensemble de cet écosystème. Vue comme une dérive quasi sectaire, voire new age à cette époque, cette idée recommence à germer et a être considéré de façon plus sérieuse aujourd’hui, n’en déplaise aux climato-septiques.

En considérant les espèces et leur environnement comme un seul système, nous pouvons pour la première fois construire des modèles qui sont mathématiquement stables bien que comportant un très grand nombre d'espèces rivales. Dans ces modèles, une diversité accrue parmi les espèces se traduit par une meilleure régulation. Supprimez tel micro-organisme marin et le taux d'oxygène dans l'air augmentera peut-être.

Lovelock 2001.

L'algèbre s'applique aux nuages ; l'irradiation de l'astre profite à la rose ; aucun penseur n'oserait dire que le parfum de l'aubépine est inutile aux constellations.

V. Hugo.

Ce que nos sciences ont glané jusqu’à lors n’est qu’une rhapsodie, une compilation désordonnée, décousue où nos connaissances morcelées ne nous permettent pas de comprendre et ainsi de sauvegarder l’élégance de notre planète. 

Références

Hésiode. Les travaux et les jours. VIIIe siècle av JC.

 

Enders Giulia. 2015. Le charme discret de l'intestin : Tout sur un organe mal aimé. Actes sud Editions.

 

Frisén Jonas. 2005. Retrospective Birth Dating of Cells in Humans. Cell, Vol. 122, 133–143, July 15. DOI 10.1016/j.cell.2005.04.028

 

Jessus Catherine. 2017. Étonnant vivant. Découvertes et promesses du XXIe siècle. CNRS éditions.

 

Butler Paul G. 2013. Variability of marine climate on the North Icelandic Shelf in a 1357-year proxy archive based on growth increments in the bivalve Arctica islandica. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. Volume 373, 1 March 2013, Pages 141–151. https://doi.org/10.1016/j.palaeo.2012.01.016

 

Wang N., Tytell J. Ingber D. 2009. Mechanotransduction at a distance: mechanically coupling the extracellular matrix with the nucleus. Molecular cell biol. 10. pp. 75-82.

 

Navarro Claire L. 2008. Lamines A et syndromes progéroïdes. Une farnésylation persistante aux conséquences dramatiques. Med Sci (Paris). Volume 24, Number 10.

 

Margulis Lynn, Sagan Dorion. L’univers bactériel. Les nouveaux rapports de l’homme et de la nature. Albin Michel. 1989.

 

Lovelock James. 1999. La terre est un être vivant : L'hypothèse Gaïa. Flammarion.

 

Lovelock James. The Science Show, 17 novembre 2001 - Radio National, Australian Broadcasting Corporation

 

Hugo Victor. Les misérables. 1862.

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