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07 Mar

La place du corps dans les sciences cognitives

Publié par francois delcourt  - Catégories :  #Esprit et corps

Le Titien. La Vénus d'Urbin. 1538

Le Titien. La Vénus d'Urbin. 1538

Le repos de Venus met en avant la beauté féminine et l’attrait du corps. Au XVIe siècle l’image est puissante et magique et on recommande d’accrocher des nudités dans les chambres à coucher des époux, pensant à cette époque que le regard de la femme sur ces beaux corps la rendra féconde et lui donnera des enfants beaux.

Dans des drapés d’étoffes riches et voluptueux, une femme nue allongée, cheveux dénoués sur l’épaule, quelques roses entre les doigts, l’autre main cachant son sexe d'une manière à la fois naturelle et pudique s’offre du regard et nous invite au regard.

Le champ des sciences cognitives, à son début, se partageait entre deux courants opposés. L’un d’eux, issu des théories cognitivistes orthodoxes de Chomsky, propose un mécanisme cognitif préétabli, une sorte de programme inné, que l’on développe et améliore avec l’apprentissage. Il fait la part belle à la théorie de Turing et de sa machine, premier ordinateur, qui implique cette notion de programme et de symbole logique. Cette notion est à l’origine du de la métaphore du fonctionnement du cerveau tel un ordinateur (métaphore techniciste). C’est une logique de programmation, une représentation symbolique de la cognition d’un esprit désincarné.

Le second, issu des théories néo-connexionnistes de l’après-guerre et de la cybernétique de Wiener et Shannon, postule pour une théorie d’un mécanisme cognitif vu comme un processus interactif entre un amas de cellule et le monde extérieur. Il fait la part belle à la notion de perceptron (Rosenblatt, 1958) et d’acquisition graduelle (temporalité importante) de connaissances non programmées mais acquises par l’expérience vivante (métaphore biologique). Entre ces deux voies dichotomiques, existe-t-il une voie moyenne, un entre deux, non simpliste ? Cette troisième voie, celle de l’intelligence « incarnée » qui émerge et ne peut exister indépendamment du corps qui l’abrite (Le blanc, 2014).

Dans les années 1970, H Maturana et F Varela, biologistes de formation, mettent au point la théorie de l’autopoïèse, qui stipule que les organismes vivants sont un réseau de composant non uniformes dont les parties se régénèrent et se transforment continuellement à travers leurs interactions avec le réseau qui les a produites.

Le système vivant est autonome et agit de façon circulaire avec son environnement dans une perspective d’adaptation et de préservation (homéostasie) (Rinaldi, 2017). C’est une logique de processus, un « faire cognitif et expérientiel » d’un esprit incarné. Cette notion que F. Varela (Valera, Thomson, & Rosch, 1993) a appelé « énaction » fait appel à un processus auto organisé de type constructiviste et biologique créateur de forme et d’esprit. La représentation que l’on peut en avoir est que « l’esprit » est, entre autres, bien plus qu’une propriété émergente d’une association et des interactions neuronales. « L’esprit » est ainsi un processus de construction par interaction entre des ressources minimales et les informations venant du réel. Cette notion se rapproche du néo-connexionnisme mais reste insuffisante pour mettre du sens dans l’information émergente d’un simple amas de neurones.

Dans la perspective de l’énaction, « l’acte de communiquer ne se traduit pas par un transfert d’information depuis l’expéditeur vers le destinataire, mais plutôt par le modelage mutuel d’un monde commun au moyen d’une action conjuguée (Varela, 1988)».

Pour produire du sens, il faut une histoire, une action sur l’environnement et une observation des variations de celui-ci. C’est le tryptique système-environnement-action qui constitue et perpétue le système. Comment et pourquoi les processus physiologiques donnent naissance à l’expérience subjective et consciente ? Ce principe d’autopoïèse ouvre la voie à la réflexion sur le corps et ses organes. « Si l’on pénètre la surface d’un organisme et si l’on regarde de plus en plus loin en lui, nulle part n’apparait un élément central de contrôle qui serait un Soi, et qui, secrètement, tirerait les ficelles de ses organes (Žižek, 2008)». « Même si la science définit et manipule le génome humain, cela ne lui permettra pas de dominer ni de manipuler la subjectivité́ humaine (Žižek, 2008)».

Cela pose le problème de la conscience réflexive du sujet en rapport à l’altérité du monde. Le soi constitué du rapport aux autres, de l’expérience du monde et la conscience comme un rassemblement subjectif. Sans l’être extérieur, quel est l’agent, la structure ou la fonction qui donne du sens au système ? (Le blanc, 2014)

Le soi se réalise dans l’interface avec le monde (pour devenir notre monde) et en retour modifie notre monde et cette interface elle-même, le soi forme une identité propre à chacun. Le soi existe comme totalisation consciente et inconsciente de sa relation au monde et il s’en distingue, et se différentie pour créer une identité propre à chacun et une vision de son monde. L’aspect pathologique survient lorsque ce soi se dissout dans l’altérité du monde sans se distinguer, laissant apparaitre la psychose, la déréalisation du soi. Cette troisième voie, proposée par Varela, propose de ne plus considérer le système cognitif régi par un commandement extérieur ou intérieur (logique de programmation ou d’interaction) mais qu’il soit régi par la dynamique même du système sans chef d’orchestre. Il existe ainsi des boucles de rétroaction du système sur lui-même créant l’homéostasie. Il propose un schéma de construction des facultés cognitives à partir d’un historique vécu : « le sentier apparait avec les marcheurs ». Cette conception se retrouve en philosophie avec Hegel : « lorsque Varela définit son concept d’autopoïèse, il répète, presque mot pour mot, le concept hégélien de vie comme entité́ téléologique auto-organisée. Son idée centrale, celle de boucle ou de lacet, ressemble à la Setzung der Voraussetzung de Hegel. (Žižek, 2008)» Cette conception se retrouve aussi dans la notion de complexité et de systèmes complexes. La théorie des systèmes complexes (ou de la complexité) peut apporter des réponses, en cela qu’elle propose des principes directeurs comme l’auto-organisation et de l’émergence créant de l’intelligence collective.

Références

  1. Le blanc, B. (2014). Francisco Varela : des systèmes et des boucles. CNRS. editions hermès, la revue, p. 1 n° 68. pages 106 à 107.
  2. Rinaldi, R. (2017). Francisco Varela. L’homme est un corps pensant. Mensuel 294.
  3. Rosenblatt, F. (1958, 65 6). The perceptron: A probabilistic model for information storage and organization in the brain. Psychological Review, pp. 386–408.
  4. Valera, F., Thomson, E., & Rosch, E. (1993). l’inscription corporelle de l’esprit. Paris: Seuil.
  5. Varela, F. (1988). Invitation aux sciences cognitives. Paris: Seuil.
  6. Žižek, S. (2008). Organes sans corps. Deleuze et conséquences. Paris: éditions Amsterdam.
 

 

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