Comment comprendre la consultation ostéopathique ?
Une petite famille prend plusieurs rendez-vous et se présente chez l’ostéopathe…..
Présentation et motif de consultation
Paul est un jeune homme de 39 ans, consultant, sportif et souffrant de douleurs lombaires récidivantes. Paul est venu me voir pour ses douleurs lombaires récidivantes (motif de consultation). Les examens médicaux pratiqués ne donnent pas grand chose : aux examens radiologiques, une arthrose légère et étagée est trouvée sur l’ensemble du rachis lombaire en rapport à sa pratique sportive et à son âge. Pas d’altération de la structure osseuse primaire ou secondaire à une atteinte métastasique. Aucun signe clinique suspectant une atteinte neurologique de type sciatique. Le scanner et l’IRM ne révèlent rien de suspect sur l’ensemble de la zone lombo-abdominale. Inopérable à ce stade, le diagnostic de lombalgies chroniques récidivantes est posé.
Plusieurs prescriptions successives d’anti-inflammatoires ont été faite ainsi que des séries de séances de kinésithérapie. Il a même consulté un médecin ostéopathe qui lui a fait des manipulations vertébrales sur plusieurs zones rachidiennes. Sans résultats probants sur le long terme et sur les récidives de douleurs, Paul me consulte en dernier recours sur les conseils d’un ami.
L’intervention et ses limites
En premier lieu, il convient d’établir un diagnostic d’opportunité de la future intervention, à savoir si le cas peut justifier des compétences de l’ostéopathe ou non (quelle que soit la formation initiale reçue). C’est identifier les symptômes et signes d’alerte justifiant un avis médical préalable à une prise en charge ostéopathique (garante de la sécurité du patient).
Ce diagnostic (non médical), au cours de l’anamnèse et d’un bilan clinique, fait un état des lieux de son histoire de vie et de son environnement (le passé traumatique, médical au sens large, les évènements de vie et l’ici et maintenant, le présent).
Puis dans un second temps je pratique un diagnostic fonctionnel. C’est à dire identifier et hiérarchiser les dysfonctions ostéopathiques et leurs interactions afin de décider du traitement ostéopathique le mieux adapté à l’amélioration de l’état de santé.
A quoi correspond une dysfonction ostéopathique ?
La dysfonction ostéopathique est une altération de la mobilité, de la viscoélasticité ou de la texture des composantes du système somatique. Tout dépend à quelle échelle on se situe pour justifier d’une intervention (bilan ou traitement ostéopathique).
On peut diagnostiquer des pertes de mobilité d’une zone articulaire ou vertébrale. Par exemple Paul a des limitations articulaires de certaines vertèbres lombaires et il est possible de pratiquer sur lui des techniques manipulatives (on parle dans ce cas d’ostéopathie structurelle).
Les manipulations vertébrales ostéopathiques sont généralement pratiquées en HVLA, c’est à dire à haute vélocité et basse amplitude sur divers étages rachidiens ou appendiculaires. Elles consistent en une technique de poussée très brève et de faible amplitude d’une zone articulaire mise en tension au préalable à l’aide de bras de leviers corporels (ces leviers peuvent être importants et volontairement plus grossiers, avec le corps entier, ou minimums avec une mise en place manuelle précise et fine).
Cette mise en tension préalable, de même que l’amplitude du geste final, reste en deçà de l’amplitude physiologique normale de la zone articulaire considérée, sinon il n’y a aucune perte de mobilité avérée ; ce qui différentie des techniques manipulatives médicale dont la mise en tension va au delà de cette barrière physiologique.
Ces techniques peuvent avoir des effets positifs sur les spasmes musculaires de certains muscles (hyper)toniques. Mais peut-on parler d’effet thérapeutique si l’on s’adresse uniquement à la douleur et la perte de mobilité ?
Mais ou peut voir les choses différemment ; considérer qu’une perte de qualité élastique tissulaire est en amont de la mobilité d’une zone articulaire et celle-ci devient alors rigide, moins souple, on dit moins compliante (c’est l’inverse de la rigidité). Le bilan de compliance fait partie des tests ostéopathiques (voir article).
Imaginez qu’un tailleur vous façonne deux blousons très ajustés. L’un en coton rigide peu extensible et l’autre en tissu beaucoup plus élastique et moins rigide. Si vous voulez lever le bras en l’air, vous allez être très gêné lors de vos mouvements avec le premier mais pas avec le deuxième. La différence réside dans la qualité élastique de la matière, et cela change le comportement du tissu sollicité et celui du mouvement global. Cette qualité élastique différente permet la mobilité. Ainsi la qualité élastique est en amont de la mobilité. Dans ce cadre là, on utilise des traitements (des mobilisations, et on parle dans ce cas d’ostéopathie fonctionnelle), plus doux et moins invasifs adaptés à tous les âges et types de structures corporelles (articulaires et non articulaires).
On à l’habitude d’opposer injustement l’ostéopathie non manipulative, dite « fonctionnelle », ce qui semble être un terme impropre - comme si le fait de poser les mains sur le corps n’avait aucun rapport avec la structure - à l’ostéopathie « structurelle », celle qui fait des manipulations vertébrales et articulaires, terme aussi impropre - comme si le fait de manipuler n’avait aucun rapport avec la fonction - or les manipulations ne sont-elles pas censées améliorer la mobilité articulaire ? Les ostéopathes d’ailleurs, répètent à l’envi : « la structure gouverne la fonction. »
Quels sont les autres tests du bilan ostéopathique ?
La forme ; elle correspond aux caractéristiques observables et palpables du sujet en statique et en dynamique. Elle s'évalue debout et couché (hors contrainte posturale). Cela permet de se faire une représentation mentale 3D. Paul s’est cassé la clavicule gauche, enfant, et aujourd’hui la forme de celle-ci n’est pas la même qu’à droite. On retrouve une asymétrie visible et palpable et informante sans pour autant parler de quelque chose de pathologique au sens médical du terme.
La dureté ; La dureté se définie comme étant la résistance des matériaux à la pénétration.
L’ostéopathe va distinguer le dur et le mou à l’aide d’une palpation lente ; et la qualité de réponse tissulaire dépend de la qualité gestuelle, de la vitesse, de la force émise et de la surface de contact. L’approche palpatoire va affiner le diagnostic ostéopathique en élaborant une sorte de cartographie des zones qui vont répondre différemment selon leur dureté. Un tissu peut être dur, mou ou avoir des états de dureté intermédiaires.
La mobilité ; La mobilité ne s’adresse pas uniquement aux zones articulaires et vertébrales, elle concerne toutes les structures anatomiques, avec des amplitudes qui varient selon la zone, le type et la qualité du tissu testé. C’est savoir si vous tournez la tête sans encombre, levez le bras correctement ou que la masse viscérale se mobilise au même titre que la cage thoracique lors de l’inspiration par exemple.
L’attraction tissulaire ; la main suit l'attraction cutanée jusqu’à une conformation spatiale particulière (en 3D) ou elle s’arrête, comme en équilibre.
Elle est plus ou moins intense en fonction de la position de certaines zones corporelles
La recherche de la réduction des influences extérieures ou de la focalisation de cette attraction par le positionnement des zones corporelles s’appelle la « mise en aisance », jusqu'à obtenir l’arrêt de cette attraction que l’on nomme « état d’équilibre tissulaire ».
Imaginez une toile tendue à l’horizontale, mettez des billes dessus, elle vont se répartir partout, mettez une boule de billard au centre et les billes vont converger vers elle puis s’arrêter en se collant à elle. C’est un peu le ressenti tactile qu’a l’ostéopathe dans ce type de recherche.
La peau et ce qu’il y a en dessous, le tissu conjonctif en général, est organisé en réseau (voir les travaux du Dr Guimberteau) comme une trame, une toile d’araignée en 3D, avec des échelles différentes, des grosses fibres et de très petites qui s’auto organisent pour former une structure qui a une forme et un équilibre particulier.
La vasomotion ; La vasomotion se manifeste par la présence d’une ouverture et d’une fermeture rythmique des artérioles et d’une modulation correspondante du flux capillaire (motion du flux). La vasomotion permet de faire varier de façon cyclique le diamètre des petits vaisseaux artériels. La fréquence et l’amplitude de ce rythme sont caractéristiques de la taille du vaisseau et de son emplacement dans le réseau microcirculatoire. Le rôle de la vasomotion est bénéfique pour la perfusion tissulaire.
Si on parle de la « règle de l’artère » à des non ostéopathes, ils ne comprendront rien, c’est comme une « loi » physiologique imposée, quasi dogmatique. La vasomotion, ça parle à tout le monde.
La compliance ; la compliance c'est l'inverse de la rigidité. La compliance représente la capacité des tissus à se déformer sous la contrainte. Un tissu compliant se déforme aisément, un tissu rigide, non. L’ostéopathe évalue la capacité de réponse des tissus à la contrainte provoquée dans certains paramètres comme la compression, l’étirement, ou le cisaillement. (voir article) Cette réponse correspond à une déformation du conjonctif qui est permise manuellement et que l’on peut qualifier et quantifier.
De nouveaux procédés technologiques apparaissent pour quantifier cette notion de rigidité, c’est l’élastographie (voir article) qui s’apparente à une échographie modifiée. Les ondes sonores ont des effets sur les tissus biologiques. Une onde acoustique se propage plus facilement et plus vite si le tissu est rigide, cela permet un enregistrement de la qualité élastique du conjonctif. Frappez sur une frite de bain ou sur un tube de métal sur une extrémité et mettez la main à l’autre extrémité et vous allez avoir une petite idée de la propagation d’une onde de choc et du phénomène d’amortissement de cette onde.
Chez Paul, on peut se donner une image 3D de son corps à l’issue de tous ces tests. Chez lui, et à ce jour, en occultant d’autres zones moins informantes et pour simplifier ; dans son bassin, le sacrum semble plié sur lui même et basculé (attiré) vers la sacro-iliaque gauche. Celle-ci est peu mobile mais ce n’est pas un souci, car elle s’adapte comme elle peut (est-il utile de manipuler ?). Son ilium (l’os de la crête iliaque) est plié sur lui même au niveau de la zone EIPS, rendu plus rigide et peu compliant, la vasomotion est altérée. Son tibia gauche est courbé en dedans et en rotation vers l’intérieur, avec une zone d’attraction tissulaire franche au dessus de sa malléole interne, moins compliante et plus molle à un endroit alors que plus dure à d’autres. Comme par hasard, il a subit de nombreuses entorses au niveau de cette cheville. Ce qui aurait eu pour effet de rigidifier cette zone tibiale suite à une déformation plastique, rendue peu élastique et moins équilibrée au sein de son tissu conjonctif.
Ceci donne un équilibre de son pied gauche vers l’intérieur et une perte de mobilité de tout le membre gauche vers l’extérieur, du pied au bassin.
Le traitement ostéopathique non manipulatif de ces zones non articulaires permet une organisation différente de l’ensemble du conjonctif de Paul, vérifiable lors du différentiel constaté à l’aide du bilan post-traitement et de la séance suivante.
Se pourrait-il que ces perturbations aient une influence négative et soient source de lombalgie récidivante ?
Comment une zone perturbée à distance (le tibia et le pied) pourrait-elle avoir une influence ailleurs (le bassin et les lombaires) ?
Quels sont les modèles qui permettent de comprendre cette organisation ?
En fait pour comprendre l’ostéopathie, en amont, il faut comprendre l’organisation et la dynamique du corps. Un modèle intéressant est celui des systèmes complexes. (voir article)
Un système complexe est constitué d’un ensemble de nombreux éléments hétérogènes, indépendants en interaction. C’est une caractéristique des systèmes vivants en particulier. Deux propriétés fondamentales les caractérisent. L’émergence. C’est l'apparition au niveau global de propriétés nouvelles, non observables au niveau des éléments constitutifs. Le fonctionnement global difficilement prédictible à partir de l’observation et de l’analyse des constituants et de leurs interactions élémentaires. L’ensemble fait plus que la somme de ses parties.
L'auto-organisation représente une tendance, pour des organismes vivants ou des systèmes sociaux, à s'organiser d'eux-mêmes. L'organisation interne d'un système, habituellement un système hors équilibre, augmente automatiquement sans être dirigée par une source extérieure. Le système s'auto-organise sans le besoin d'un "chef d'orchestre". Le cœur bat sans que l’on y pense, lors d’une coupure qui s’infecte, ou si vous attrapez une grippe, le système immunitaire intervient de façon à organiser les défenses immunitaires sans votre consentement conscient. Le système immunitaire est un système de tolérance auto organisé plus qu’un système de défense (Philippe Kourilsky 2014) car il tolère de nombreuses bactéries ou virus non pathogènes qui peuvent le devenir et intervient au moment voulu selon leur virulence. De plus le système immunitaire garde une trace de cet affrontement, c’est le principe de l’immunité acquise et fait l’intérêt de la vaccination.
Je préfère parler d’auto organisation plutôt que d’auto guérison, le conjonctif se modifie avec les traumatismes divers et variés subits (par que dans le domaine physique) et garde une trace peu perceptible à l’aide d’une radio, mais palpable en ostéopathie. A ce que je sache, Paul n’est pas malade, il est juste « conjonctivement » désorganisé et peu équilibré.
On a affaire à une organisation hiérarchique horizontale et non verticale. C’est le principe de l’intelligence collective. (voir article). On la retrouve dans les mouvements des bancs de poissons, les vols d’étourneaux, les déplacements de colonies de fourmis ou de termites, les mouvements de cellules lors de l’embryogénèse, la recherche de nourriture chez les amibes, la création de biofilms chez les bactéries.
Cette idée d’auto organisation et d’intelligence collective est vertigineuse dans ses fondements et ses implications. Eric Karsenti, un chercheur du CNRS a modélisé l’auto organisation des microtubules du cytosquelette cellulaire (médaille d’or du CNRS 2015) comme initiateurs du mouvement des chromosomes et non l’inverse comme on le pensait jusqu’à ce jour. Il est aussi responsable de la mission Tara océan chargé de faire l’inventaire de la flore et de la faune microscopique des océans à l’échelle de la planète. Reste à trouver des modèles cohérents nous permettant de comprendre comment s’organisent dans le vivant et le réel toutes ces données récoltées.
Des études récentes (Arnaud Foisy 2015, 2016, Eric Matheron) font état de modifications fines sur la motricité binoculaire et la posture qui se modifient instantanément avec ou sans la présence de piercing au niveau du visage ou d’une cale de 3 mm d’épaisseur au niveau des pieds. Ce n’est pas le poids du piercing ou l’épaisseur de la cale qui fait la différence, car à priori négligeables. Ainsi une modification du conjonctif paraissant anodine peut provoquer, faire émerger, une auto organisation immédiate différente de celui-ci, pathologique, adaptée ou non, ayant une influence plus générale, on parle d’effet systémique (voir article). C’est ça l’approche globale de l’ostéopathie, c’est tout simplement physiologique.
Il faut voir le tissu conjonctif (et en particulier la peau) comme un intégrateur proprioceptif et un transducteur mécanique global.
Des études ont déjà démontré que des perturbations d’informations somesthésiques sur la région trigéminale (du nerf trijumeau, innervant la face) activent des boucles sensorimotrices impliquées dans le contrôle postural (Matheron, Kapoula 2008) (Gangloff et Perrin 2002). De même des effets perturbant peuvent avoir des implications dans les DCNS (douleurs chroniques non spécifiques) (Matheron 2005 a, b)
Lors d’une formation Master Class sur la motricité binoculaire, je fus étonné d’observer avec quelle nonchalance le Dr Eric Matheron, chercheur en neuroscience, réglait les perte de mobilité cervicale d’un des étudiants présent (certes, de façon immédiate mais éphémère, réversible et non thérapeutique) en lui collant un bout de scotch sur le trapèze ! J’imagine avec délice, les futures recherches concernant les approches thérapeutiques des techniques du type « tape » et pas seulement leurs implications chez le sportif.
Lors d’une conférence de posturologie, Arnaud Foisy présentant ses travaux préliminaires sur les effets des cales podales de 3mm sur la posture globale et notamment sur les vergences oculaires chez le sujet normal, une question fut posé sur les causes et le pourquoi d’une telle adaptation immédiate. La réponse de Zoï Kapoula, responsable d’une unité de recherche CNRS fut simple : « Ce qui se passe, dans ces cas présents, entre les yeux et les pieds, nous n’en savons rien. On ne fait, en recherche, que constater les faits, l’interprétation de ceux-ci est une autre histoire ».
L’ostéopathie, à mon avis, est depuis sa création, beaucoup trop axée sur ses fondateurs historiques et sur la maladie mais elle ne s’est pas suffisamment penchée sur le corps et les réactions de celui-ci. Il reste encore à ce jour, beaucoup d’inconnu en matière de physiologie du corps, quelle que soit l’échelle et l’abord systémique ou analytique de celui-ci.
La posture de Zoé
Nous avons vu le cas du père, voyons maintenant celui de sa pépette. Zoé est une jeune fille de 12 ans, joyeuse et autonome, danseuse. Physiquement grande pour son âge, elle présente une forte cambrure lombaire. Plus jeune, elle a été opérée de l’appendicite. Son genou droit la tiraille régulièrement après les entrainements et elle a souvent des douleurs abdominales et lombaires. Les examens complémentaires rachidiens pratiqués ne présentent aucune altération notable, de même que les investigations médicales gastro-intestinales. Un antispasmodique à visée digestive lui a été prescrit, les résultats ne sont que symptomatiques, sans effet sur la récidive des symptômes. Chacun son métier, je suis bien heureux que Zoé ai pu être investiguée médicalement afin de garantir sa sécurité. La sécurité sanitaire et la santé publique sont l’affaire de tous, y compris des patients eux-mêmes lorsqu’ils se prennent en charge, et non pas une exclusivité médicale ou autre censée tout guérir. Je suis partisan d’une approche pluridisciplinaire concertée et bienveillante.
Lors de la chirurgie de son appendicite, la cicatrisation des tissus conjonctifs se sont auto organisés et ont créé des rigidités. Aujourd’hui même si elle est guérie, il reste une zone conjonctive abdominale suffisamment rigide (des adhérences ou des accolements de fascias) pour désorganiser l’ensemble de sa posture et avoir des implications sur son économie gestuelle créant fatigue, douleurs, tensions musculaires et viscérales, etc…
Intervenir sur cette cicatrice et tout le conjonctif désadapté autour de celle-ci permet une auto organisation différente de l’ensemble de celui-ci à une échelle locale puis globale favorisant une mobilité et une posture plus adaptées et moins contraignantes sur son genou lors des efforts par exemple. Sa proprioception, ses douleurs sont améliorées de façon significative, éventuellement sa gestuelle fine de danseuse.
L’intervention à distance pourrait être salvatrice plus qu’une intervention locale sur le lieu de la douleur
Rien n’est systématique tout est systémique. Dans un système complexe, de nombreux facteurs divers et variés à des échelles différentes peuvent avoir un effet global. En biologie on étudie de plus en plus les effets mécaniques sur le biologique. C’est une nouvelle approche la mécanobiologie (voir article) avec des répercutions insoupçonnées jusqu’à lors.
C’est le principe de mécanotransduction : C’est à dire la transmission d’un signal mécanique en un autre type de signal. Le système conjonctif est un transducteur mécanique. Un œil est un transducteur. Une source et un signal lumineux est transformé dans la rétine en un signal électrique qui se propage jusqu’au cerveau pour être interprété.
Le système conjonctif relie dans son réseau tous les éléments du corps, de la peau jusqu’à l’os et même à l’intérieur de l’os. A toutes les échelles jusqu’aux cellules et à l’intérieur des cellules (jusqu’au cytosquelette).
Toute action sur le corps, a un effet jusqu'à la cellule et modifie le comportement de celle-ci. (Mécanobiologie)
Je dirais que oui, l’intervention sur la cicatrice abdominale de Zoé est plus salvatrice qu’une intervention directe sur ses lombaires et son genou droit.
Et Marie ?
Marie est la femme de Paul, enceinte de 4 mois (encore une fille), elle décide de venir en consultation, pour « faire un bilan » et un « suivi de sa grossesse à visée préventive. »
Parlons un peu des revendications préventives de l’ostéopathie. Intervenir sur un corps et le modifier ostéopathiquement, même si celui-ci ne présent aucun symptôme probant faisant l’objet d’un motif de consultation, est-il susceptible d’avoir un caractère préventif ?
Ce rééquilibrage conjonctif ostéopathique fin effectué lors des consultations est-il prédictif d’une atteinte traumatique, pathologique future ?
Autrement dit : le suivi « préventif » de Marie lui garantie-t-il une grossesse sans encombre ? Ou tout simplement ce suivi, thérapeutique, lui offre-t-il une meilleure faculté d’adaptation aux modifications corporelles liées à sa grossesse ?
De la même façon concernant Paul, le fait de le suivre régulièrement lui permet-il d’être à l’abri d’une nouvelle entorse ? Si oui, cette entorse va-t-elle être à l’origine de complications locales ou posturales du même type ou s’auto organiser différemment ?
Bien évidemment, la dernière option est la plus logique, imaginer le contraire, ce serait faire des prédictions hasardeuses et oublier les phénomènes émergents incontrôlables.
Gardons-nous de vouloir « prévoir » le futur de nos patients par nos actions « préventives ». Le suivi ostéopathique ne sert qu’a vérifier la bonne auto organisation conjonctive corporelle et à faciliter sa correction si nécessaire, dans l’ici et maintenant, et non pas pour « l’exempter » de toute atteinte.
Il ne faut pas confondre intervention précoce et prévention. C’est encore plus vrai chez l’enfant en développement.
L’intervention ostéopathique sur Marie ne se fait pas de façon directe pour la crevette (voir article) dans le ventre de sa mère, mais de façon indirecte en intervenant sur la maman.
Le corps humain est constitué d’un réseau dans lequel certaines grosses fibres sont alignées et collées pour former des ligaments, des tendons, des muscles, d’autres vont se calcifier pour donner de l’os, d’autres s’enroulent pour donner le périoste (trame qui entoure les os) ou des membranes qui entourent les organes (péritoine, péricarde).
En fonctions des sollicitations internes et externes, au cours de la croissance du bébé à l’adulte, ce réseau va s’auto organiser de façon particulière à chacun. Chaque personne va réagir de façon différente à un traumatisme par exemple. La forme du corps et sa qualité conjonctive va se modifier (en respectant certaines contraintes génétiquement programmées mais aussi en fonction des caractéristiques épigénétiques = dans l’expression plus ou moins accentuée du génome par l’environnement).
Tout ceci forme notre identité propre. Un peu comme le fait d’avoir un visage différent tout en ayant tous deux yeux, une bouche, un nez, etc…et en terme de beauté, même en étant blond avec des yeux bleus (génétiquement identiques), il y a des Brad Pitt et des braves types, faut de tout pour faire un monde.
Tout est interconnecté, tout ce réseau relie les organes, les cellules dans les organes et donne une unité individuelle et mécanique dans le corps.
Dans le cas d’un fœtus, soigner la maman permet de diminuer les contraintes nocives au bon développement du bébé en gestation (intervention curative). J’ai une image en tête, qui a fait le tour du web, d’une tortue de mer qui s’est développée malgré un cerclage de sa carapace provoqué par un emballage plastique.
On peut aussi évoquer les rituels de bandage des crânes ou des anneaux des femmes « girafes » en Afrique ou les contentions des pieds des femmes chinoises à une certaine époque lointaine heureusement. Une contrainte supportée suffisamment longtemps fait émerger au cours de la croissance une forme modifiée et on peut l’imaginer une fonction perturbée. C’est l’intérêt d’un suivi ostéopathique des enfants (et des mamans) au cours de leur développement.
Si je devais donner une définition de l’ostéopathie ce serait : « L’ostéopathie c’est favoriser le travail d’émergence de l’autonomie et de l’équilibre. »
Favoriser parce que l’ostéopathe intervient de façon précise et en retrait, sans imposer des contraintes énormes en respectant ce travail d’auto organisation émergent à son intervention thérapeutique qui peut être instantané ou être plus lent.
L’ostéopathe ne doit pas devenir une béquille indispensable pour vivre, il est une aide à un moment donné dans l’organisation du patient, c’est faire un bout de chemin ensemble afin d’acquérir une autonomie, pas forcement une indépendance. L’humain est autonome mais dépendant de son environnement, être indépendant c’est parfois se retrouver isolé, seul face à sa maladie, son handicap, c’est être traité, pas nécessairement être soigné, accompagné. Comme pour l’éducation, c’est lui donner les moyens, dans cet accompagnement, afin de trouver un équilibre corporel, psychique et environnemental sécurisant.
Références
Kourilsky Philippe. Le jeu du hasard et de la complexité. La nouvelle science de l’immunologie. 2014. Odile Jacob.
Foisy A, Gaertner C, Matheron E, Kapoula Z. eCollection 2015. Controlling Posture and Vergence Eye Movements in Quiet Stance: Effects of Thin Plantar Inserts. PLoS One. 2015 Dec 4;10(12):e0143693. doi: 10.1371/journal.pone.0143693. PubMed PMID: 26637132; PubMed Central PMCID: PMC4670092.
Foisy A, Kapoula Z. eCollection 2016. How Plantar Exteroceptive Efficiency Modulates Postural and Oculomotor Control: Inter-Individual Variability. Front Hum Neurosci. 2016 May 13;10:228. doi: 10.3389/fnhum.2016.00228. PubMed PMID: 27242490; PubMed Central PMCID: PMC4866577.
Matheron E, Kapoula Z. 2008. Vertical phoria and postural control in upright stance in healthy young subjects. Clinical neurophysiology. 119. 2314-2320.
Gangloff P, Perrin PP. 2002. unilateral trigeminal anaesthesia modifies postural control in human subjects. Neuroscience letter. 330. 179-182.
Matheron E, Barlaud P, D’Athis P. 2005a. Evaluation des hétérophories verticales en vision de loin sur des sujets arthralgiques et/ou rachialgiques dits chroniques, et incidence de leur normalisation par kinésithérapie proprioceptive spécifique. In : Lacour M, Weber B. bipédie, contrôle postural et représentation corticale. Solal, Marseille. 213-220.
Matheron E, Quercia P, Weber B, Gagey PM. 2005b. Vertical heterophoria and postural deficiency syndrome. Gait and posture. 21. S132-133. 2005