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18 Feb

Conflit et résistance cognitive

Publié par francois delcourt

Conflit et résistance cognitive

L’apprentissage chez l’enfant

Depuis de nombreuses années, on a considéré les bébés comme parfaitement immatures. Même s’ils restent dépendants de leurs parents, ils ne sont pas si immatures car leurs capacités d’apprentissages sont phénoménales. Doués d’une imagination désinhibée, d’une curiosité multidirectionnelle ils surpassent certaines capacités des adultes.

Cette immaturité de la naissance est un atout car elle permet aux bébés de se métamorphoser en quelque sorte, de s’adapter à des environnements divers et variés, de développer leur capacités de résilience contrairement aux autres espèces animales. L’inconvénient, c’est que cette immaturité dure longtemps et que les enfants sont constamment obligés d’apprendre.

Le cerveau des enfants possède plus de connexions neuronales, de flexibilité, de plasticité que celui d’un adulte. Par la suite, au cours des apprentissages, l’enfant sélectionne et renforce, à partir des connexions labiles, des connexions plus efficaces, durables et utiles et ceci particulièrement dans certaines zones évoluées du cerveau humain. Ces traces laissées par l’apprentissage se renforcent au cours de la répétition des taches cognitives; c’est le phénomène de réassociation et de reconsolidation1

Le cortex préfrontal, une caractéristique des êtres humains, demande un temps de maturation particulièrement important. Les connexions nerveuses ne seraient totalement achevées qu’à environ 25 ans. Les facultés de concentration, de planification et d’action gouvernées par cette partie du cerveau dépendent du long apprentissage qui a lieu pendant l’enfance.

Gopnik, A., Meltzoff, A., & Kuhl, P. (août 2007). Comment pensent les bébés ? le Pommier.

Alison Gopnik3 défend l’idée que les enfants découvrent le monde comme les scientifiques

Les enfants forment intuitivement des théories à propos du monde physique, biologique et physique. Comme les scientifiques, ils le font en analysant des statistiques et en faisant des expérimentations.(...) L’apprentissage est une forme de régression des capacités de l’enfance.

Gopnik, A. (octobre 2012). Le bébé philosophe. Poche-Le pommier.

Les neurosciences nous apprennent que lorsque l’on porte son attention sur un objet, on est réceptif aux information concernant cet objet, comme focalisé dessus, les autres parties de notre cerveau sont inhibées (une forme de concentration nous permettant d’isoler l’objet). Les psychologues parlent métaphoriquement de « faisceau de lumière » : nous rendons disponible une petite partie de notre cerveau pour traiter ces informations et modifier nos pensées à propos de cet objet, tandis que le reste des processus mentaux demeure inactif.

Les enfants en bas âge sont dépourvus de cette faculté (on dit qu’ils sont dissipés, hyperactifs ?), ils sont ouverts à tout ce qui se passe autour d’eux dans le monde. Leur perception n’est pas orientée par un faisceau d’attention. Elle est à l’affût de toute la richesse des données contenues par l’environnement. Les bébés ont de grandes difficultés à inhiber leurs sens. Ils sont synesthètes.

Qu’en est-il de l’adulte ?

L’expérience4 la plus célèbre illustrant un biais cognitif a été faite autour d’un personnage féminin fictif : Linda. On raconte à des étudiants l’histoire suivante :

Linda est une jeune étudiante américaine très engagée à gauche dans les années 70. Le but est de comparer la probabilité que l’étudiante ayant atteint la quarantaine soit :

a) Employée dans une banque ou

b) Employée dans une banque et militante féministe

Le calcul élémentaire de probabilité donne :

p (a + b) < p (a)

Nous nous sommes aperçu que 89% des étudiants ne respectaient pas la logique de la probabilité. Convaincu que des participants formés aux statistiques feraient mieux, nous avons soumis la même question aux doctorants de programme de sciences de la décision de l’école de commerce de Stanford (…) nous fumes une nouvelle fois surpris : 85% d’entre eux classèrent « employée de banque et militante » avant « employée de banque.

Kahneman, D. (2012). Système 1 système 2 : les deux vitesses ed la pensée,. Flammarion.

Ainsi, d’après Daniel Kahneman6 , il existe deux systèmes cognitifs dans le cerveau. L’un est rapide, automatique et intuitif (le système 1). L’autre est plus lent, logique et réfléchi (le système 2).

Un troisième système, défendu par Olivier Houdé7, sous-tendu par le cortex préfrontal, permet l’arbitrage, au cas par cas, entre les deux premiers systèmes. C’est ce Système 3 qui assure l’inhibition des automatismes de pensée du Système 1 quand l’application logique du système 2 est nécessaire.

Ce qui semble important aujourd’hui, c’est le statut de l’erreur cognitive. Les erreurs sont aussi importantes que les réussites.

On apprend de ses erreurs et la logique permettant de les corriger constitue un des facteur du progrès (idéalement chez l’individu isolé mais en science c’est la même chose).

 

Le développement cognitif de l’enfant (mais aussi de celui qui progresse dans un apprentissage, quel que soit l’âge ou le type de contenu à apprendre) est jalonné d’erreurs, de biais perceptifs et de décalages inattendus. Il semble évident que dans l’apprentissage ostéopathique ou tout autre apprentissage manuel, les biais perceptifs sont légion.

L’élève en cours de formation est en charge d’apprendre des contenus théoriques scientifiques que l’on retrouve dans d’autres formations scientifiques médicales, paramédicales ou non. Ces connaissances acquises sont partagées avec d’autres acteurs de santé et constituent un langage commun ce qui favorise les échanges et permet de promouvoir l’interdisciplinarité dans la prise en charge des patients. Il n’en est pas de même concernant les contenus théoriques liés aux caractéristiques propres à l’ostéopathie. Certains de ces contenus, nous l’avons évoqué, comme la thérapie cranio-sacrée liée à des fluctuations du liquide céphalo rachidien moteur des mouvements synchrones crâniens et sacrés ne sont supportés par aucune expérimentation physiologique ou biophysique. il ne s’agit pas de contester les ressentis perçus par l’ostéopathe mais il conviendrait de valider la notion d’onde de choc produite par ce liquide céphalo rachidien, d’en mesurer les forces et les contraintes perçues par les tissus environnants et d’éliminer ou de joindre tout autre effecteur susceptible de provoquer ces contraintes perçues. Nous l’avons évoqué, la vasomotion est possiblement un de ces facteurs intervenant dans les fluctuations rythmées perçues par le thérapeute (voir article), d’autant plus que ces variations sont identifiables dans d’autres régions du corps et pas exclusivement dans la région crânio sacrée.

Nous pouvons conclure qu’il existe bien des biais cognitifs en ostéopathie. En l’espèce ils sont représentés par plusieurs types de biais. Un biais de culture pour lequel il est de bon ton d’adopter et d’adhérer à des notions appartenant à une culture avec le risque de devenir corporatiste et de stagner dans un microcosme. Tenter de critiquer le fondateur de l’ostéopathie et vous subirez les foudres de la confrérie des ostéopathes et risquez une quasi « excommunication ». Un biais de primauté : lorsqu’un étudiant vit une expérience sensorielle avec une charge émotionnelle, il se réfère inconsciemment à sa première impression ce qui fait dire dans le langage commun que la « première impression est toujours la bonne ». Souvent favorisée par l’enseignant dans la pratique par des phrases du type « faites-vous confiance », la perception peut être biaisée aussi par des biais perceptifs et des raccourcit cognitifs erronés dans les représentations mentales qui en émanent. L’enseignant attentif, corrige la façon de faire, la mise en place de la perception en ayant comme garde-fou de ne pas suggérer inconsciemment des théorisations, interprétations ou représentations mentales fausses. Le but est de favoriser l’autonomie de l’étudiant et non pas le mimétisme de l’enseignant.

  1. Magistretti, P., & Ansermet, F. (2010). Neuroscience et psychanalyse. Odile Jacob.
  2. Gopnik, A., Meltzoff, A., & Kuhl, P. (août 2007). Comment pensent les bébés ? le Pommier.
  3. Gopnik, A. (octobre 2012). Le bébé philosophe. Poche-Le pommier.
  4. Tversky, A., & Kahneman, D. (1983). extensional versus intuitive reasoning : the conjunction fallacy in probability judgment. Psychological review , 90, pp. 293-315.
  5. Kahneman, D. (2012). Système 1 système 2 : les deux vitesses ed la pensée,. Flammarion.
  6. Prix Nobel d’économie 2002.
  7. Instituteur de formation initiale, professeur de psychologie à l’Université Paris Descartes, directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant (LaPsyDÉ) et membre senior de l’Institut Universitaire de France.
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